Orienter notre vie vers le Seigneur

Orienter notre vie vers le Seigneur

On raconte une anecdote à propos de S. Philippe Neri. Un garçon lui faisait part de ses projets d’avenir.

« Quand je serai grand, je ferai ceci, disait-il.

_ Et après ? répondait Philippe.

_ Après je ferai cela.

_ Et après ? »

Et le garçon poursuivait, expliquait comment il ferait carrière, s’élèverait, gagnerait honneur et richesses. « Et après ? » répondait invariablement Philippe. Alors le garçon comprit ce que voulait dire le saint : que pèsent les projets des hommes face à l’éternité ?

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, le Seigneur Jésus nous parle d’un homme qui amasse pour lui-même au lieu d’être riche en vue de Dieu. Nous pouvons tous nous interroger, y compris moi-même : est-ce que j’amasse pour moi-même, comme si c’était l’abondance de mes biens, de mes relations, de mes mérites, qui allait me garantir l’amour et la vie, ou bien est-ce que je m’efforce d’être riche en vue de Dieu ?

Dans la deuxième lecture, Paul nous exhorte : depuis notre baptême, notre vie est cachée avec le Christ en Dieu. C’est ce que signifie notre nom de chrétiens : nous sommes les hommes du Christ. Nous sommes tournés vers le haut, nous avons déjà un pied dans le ciel, alors regardons vers le haut, vers le ciel, vers le Christ. Imaginez un homme qui gravirait une montagne en regardant en arrière vers le bas ! Ne va-t-il pas trébucher et dégringoler ? De même pour nous : efforçons-nous chaque jour de nous détourner de ce que la première lecture appelle « vanité » et « vanité des vanités » et de tourner vers le Seigneur tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes.

Disons-le d’emblée : il existe des choses qui ne peuvent pas être tournées vers le Christ et auxquelles il faut tourner le dos sans concession. Comme l’écrit Paul : « Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre – et il énumère –  : débauche, impureté, passion, désire mauvais, soif de posséder. » Le mensonge, la cupidité, la violence, tout cela n’a aucune place dans le Royaume de Dieu. Tout le reste par contre, nous avons à l’accueillir et à l’orienter vers le bien, vers le Seigneur.

Orienter notre vie vers le Seigneur, c’est plus concret qu’on ne le pense.

Prenons le temps, par exemple : que faisons-nous de notre temps ? Est-ce que nous perdons notre temps ? Est-ce que nous tuons le temps ? Combien de personnes, de tous les âges, gâchent de précieuses heures sur les réseaux sociaux ! Ou bien au contraire est-ce qu’une part de nos journées est consacrée à prier, à approfondir notre foi, à prendre soin de nous-mêmes et des autres ?

Et l’argent, comment l’utilisons-nous ? Je prends volontairement un exemple qui ne nous concerne pas. Un curé racontait qu’il faisait régulièrement le point sur les comptes de sa paroisse : quelle part de l’argent était mal employée, gâchée ? Quelle part au contraire allait au service de Dieu, à l’annonce de l’Évangile, aux pauvres ?

Nous pouvons aussi parler de nos relations : est-ce qu’elles nous rapprochent du Seigneur ou bien est-ce qu’elles nous éloignent de lui ? Est-ce que les personnes que nous fréquentons nous donnent envie de devenir meilleurs, ou bien est-ce qu’elles nous entraînent à la médisance, au découragement, à la tiédeur, etc. ?

Plus généralement, choisir d’orienter ou non notre vie vers le Seigneur passe par toutes ces petits choix concrets du quotidien : au regard de l’éternité, ce n’est pas la même chose de saluer son voisin ou de l’ignorer, de prendre des nouvelles d’un proche ou d’attendre qu’il fasse le premier pas, de prier ou de regarder un feuilleton, de chercher la réconciliation ou de refuser un pardon, de prendre un légitime repos ou de s’abrutir à la tâche, etc.

« La chair est le pivot du salut », écrivait Tertullien au IIe siècle. Cela signifie que Dieu nous sauve en se faisant chair. Cela signifie aussi que nous, qui sommes des êtres temporels et matériels, nous répondons à cette offre de salut par des actes inscrits dans le temps et la matière.

« Et après ? » demandait saint Philippe. Vous le savez : lorsque quelqu’un, comme l’homme de la parabole, a choisi de vivre sans Dieu, Dieu ne va pas faire effraction au dernier moment. Celui qui a choisi de vivre sans Dieu, Dieu le laisse poursuivre sur sa lancée dans l’éternité, sans lui.

Inversement, lorsque nous avons choisi de vivre en vue de Dieu, ne pouvons-nous pas espérer avec confiance que nous passerons aussi l’éternité avec lui ? C’est la phrase de S. François de Sales : « La vie, c’est le temps pour chercher Dieu. La mort, c’est le temps pour trouver Dieu. L’éternité, c’est le temps pour posséder Dieu. »

Il y a quelques jours un trappiste, le P. Henri, est décédé à l’abbaye de Cîteaux, après 78 ans de vie monastique, 78 ans de fidélité, 78 ans à orienter toute sa vie vers Dieu. Nous ne sommes pas tous appelés à devenir moine. Ne pouvons-nous pas cependant nous inspirer de leur exemple en tournant résolument nos pensées et nos actions vers ce qui compte vraiment ?

Les anciens moines, les grands spirituels, ont toujours insisté sur l’importance pour tout disciple du Christ de garder la mort devant les yeux. Surtout n’y voyons là rien de morbide ou de désespérant. Lorsque nous croyons au Christ, nous avons à nous rappeler régulièrement vers quelle destination nous cheminons, en vue de quoi nous vivons. Je ne vous apprends rien : nos contemporains, malheureusement, crèvent de ne pas savoir en vue de quoi nous sommes sur cette terre. Quant à nous, regardons le but : la mort, mais surtout celui qui nous attend au-delà. Gardons le but devant les yeux pour ne pas risquer de passer à côté, pour réajuster quotidiennement notre cap lorsque nous penchons à nouveau vers les vanités.

Cet exercice devrait nous procurer de la joie. Si ce n’est pas le cas, il peut y avoir encore des éléments de notre vie qu’il nous faut convertir, dont il nous faut nous détacher (je n’emporterai au ciel ni ma collection de BD ni ma voiture d’époque ni ma maison impeccablement briquée). Cela peut aussi être une tentation d’inquiétude à laquelle je peux opposer un acte d’espérance : « Mon Dieu, j’espère avec une ferme confiance que tu me donneras, par les mérites de Jésus-Christ, ta grâce en ce monde et la vie éternelle dans l’autre, parce que tu l’as promis et que tu tiens toujours tes promesses. »

En faisant mon examen de conscience quotidien, j’aime commencer par une action de grâce pour la journée, pour les germes de vie éternelle déjà présents. J’identifie aussi mes refus et mes obstacles à la grâce. Et je conclus par des demandes concrètes pour le lendemain, pour pouvoir vivre ma journée les yeux tournés vers le Seigneur.

Alexandre-Marie Valder