L’humble et pauvre Marie entre au ciel comblée de richesses

L’humble et pauvre Marie entre au ciel comblée de richesses

L’humble et pauvre Marie entre au ciel comblée de richesses

Dans le récit de la mort de saint Martin, il est écrit que celui-ci a passé ses derniers jours comme un pauvre, couché sur la cendre, vêtu d’un habit de pénitence. Les témoins racontent qu’à ses derniers instants, son corps était comme illuminé et déjà glorieux, si bien qu’on en oubliait qu’il gisait sur le sac et la cendre. Et le texte conclut : « Plein de joie, Martin est accueilli dans le sein d’Abraham, l’humble et pauvre Martin entre au ciel comblé de richesses. »

Depuis plusieurs mois, cette image de la mort de saint Martin nourrit ma méditation de l’Assomption de la Vierge Marie. Je me la représente vêtue très pauvrement, simple, dépouillée, infiniment légère car totalement désencombrée d’elle-même, emportée au Ciel en son âme et en son corps. N’oublions pas que, si l’Ascension du Seigneur est un acte de puissance du Christ Jésus qui s’élève et s’assoit, triomphant, à la droite du Père, l’Assomption de Marie est toute tissée d’abandon, de disponibilité, un pur et simple « se laisser prendre en Dieu ».

L’humble et pauvre Marie entre au ciel comblée de richesses, elle qui s’est faite pure simplicité, sans retour sur elle-même, légère par sa pauvreté et son humilité ; elle est – j’ose le mot – toute désappropriée. Elle est la servante – on pourrait même traduire l’esclave – du Seigneur. « Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. »

 Marie est désappropriée. Elle ne s’appartient plus. Elle appartient au Christ, le Seigneur, à qui elle a entièrement remis sa vie. D’ailleurs, elle n’est pas la seule. Réécoutons ce que nous disait saint Paul à l’instant : « C’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. » Et saint Paul le dit ailleurs : « Tout vous appartient, que ce soit Paul, Apollos, Pierre, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu (1Co 3,21-23) » et encore : « Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Ainsi, dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur (Rm 14,8). »

Cette désappropriation ne doit pas être confondue avec une soumission qui serait une sorte d’amputation d’une part de notre humanité : il ne s’agit pas de retrancher son intelligence, ses désirs, encore moins de faire abstraction du corps. L’attitude dont la Vierge Marie nous montre l’exemple est la confiance, une confiance totale, absolue, en Dieu qui est infiniment fiable.

En réécoutant ces mots de sainte Thérèse de Lisieux, ayons en tête que Marie les a vécus la première, et que c’est sur ce même chemin qu’elle nous précède : « Restons donc bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir, alors nous serons pauvres d’esprit et Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons il nous transformera en flammes d’amour… Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !… C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour… »

 Ce qui différencie radicalement la confiance de la Vierge Marie d’une soumission déshumanisante, c’est avant tout la réciprocité. Le don de Marie est un reflet, un écho, une réponse au don premier de Dieu. Parce que le Dieu de l’Alliance s’est fait connaître comme le Dieu fidèle, alors Marie peut se fier à lui.

Marie s’est remise totalement dans les mains de Dieu et Dieu s’est remis totalement entre les mains de Marie, jusqu’à prendre chair de sa chair et à reposer entre ses bras. Sur la terre, Marie a fait place à Dieu ; au Ciel, Dieu a fait place à Marie, elle qui est « dans la Trinité divine », comme elle l’aurait dit en 1947 en apparaissant dans la banlieue de Rome. Il y a une place en Dieu pour Marie, et pour tous ceux et toutes celles qui appartiennent au Christ.

Le Seigneur Dieu ne se laisse pas vaincre en générosité. Il n’a pas attendu que nous l’aimions pour nous aimer. Il n’a pas attendu que nous le servions pour nous servir. Il n’a pas attendu que nous nous livrions entre ses mains pour se livrer entre les nôtres. « Vivez dans l’amour, nous exhortait saint Paul dimanche dernier, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous. » Il se livre pour nous, à nous, lors de chaque eucharistie.

En 1950, le pape Pie XII a choisi de promulguer le dogme de l’Assomption le jour de la fête de la Toussaint. Il voulait ainsi affirmer que le privilège de la Vierge Marie, accueillie en Dieu avec son âme et son corps, ne la séparait pas du commun de l’humanité. Ce dont elle jouit dès aujourd’hui, la multitude innombrable des saints et des saintes y est également appelée. Nous pouvons en être, nous aussi.

Dès aujourd’hui, perdons du poids, spirituellement parlant ; désencombrons-nous, faisons-nous légers ; exerçons-nous à cette attitude de désappropriation dont la Vierge Marie nous offre le modèle. C’est dans la mesure où nous accueillerons le don de Dieu dans la confiance, rien que la confiance, que nous serons accueillis par lui. Cela peut commencer par l’accueil joyeux des circonstances : une contrariété, un imprévu, une maladie, un visiteur importun, une personne qui nous contredit, une météo défavorable, etc. Vient ensuite la simplicité, c’est-à-dire l’absence de retour sur soi pour se montrer, se vanter, s’attrister, s’inquiéter.

Que notre vie se modèle de plus en plus sur celle de l’humble et pauvre Marie, un pur et simple « se laisser prendre en Dieu », à lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder