Dimanche de la Joie !
Nous sommes comme le peuple d’Israël dans la première lecture. Nous venons de l’entendre : le peuple a marché quarante ans au désert, nourri de la manne et, le jour où ils parviennent en terre promise, c’en est fini de la manne ; désormais, ils se nourriront directement des produits du pays.
C’est une image de ce qui nous est promis. La marche au désert, c’est notre vie aujourd’hui sur la terre. La manne, ce sont les sacrements, et plus généralement tout ce qui nous est donné pour soutenir notre marche : la parole de Dieu, la vie en Église, etc. La terre promise, c’est le ciel, le paradis. De même qu’il n’y a plus de manne en terre promise, de même il n’y aura plus de sacrements au ciel.
Je voudrais nous encourager tous à rester en présence de celui en qui seul nous avons la vie, le mouvement et l’être, notre Père.
Aujourd’hui, par les sacrements, le Seigneur nous adopte et nous recrée, il se donne à nous et nous nourrit, il guérit nos âmes et nous réconcilie. Un jour, si nous tenons ferme, nous entrerons au ciel, où Dieu lui-même sera notre récompense, notre nourriture. C’est ce que nous laisse entendre le psaume : « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! » Le ciel, c’est Dieu présent.
Je redis la même chose d’une autre manière. Il y a quelques jours, à propos de l’enfer, quelqu’un m’affirmait de façon péremptoire : « Dieu est amour, donc il donnera le ciel à tout le monde. L’enfer ça n’existe pas. CQFD. » Ce serait tout à fait vrai si le ciel était effectivement quelque chose que Dieu donne. Or le ciel, ce n’est finalement rien d’autre que Dieu lui-même, sa présence. Il est contradictoire de vouloir le ciel en refusant Dieu. L’enfer, c’est ce que choisissent ceux qui ne veulent pas de Dieu.
Je redis une dernière fois la même chose, avec une image tirée du film Les Visiteurs. Dans ce film, Jean Reno et Christian Clavier campent un chevalier du XIIe siècle et son serviteur propulsés à la fin du XXe siècle. Au moment d’explorer un souterrain, le chevalier demande à son serviteur une torche. Celui-ci décroche une applique du mur, si bien qu’il arrache le fil électrique et que la lampe s’éteint. Il recommence avec une autre applique, et encore une autre. Impossible de s’approprier la lumière pour soi en se coupant de la source d’énergie.
Nous ne pouvons pas séparer les grâces de Dieu et Dieu lui-même ; nous ne pouvons pas séparer le don et le donateur ; c’est exactement ce que nous vivons à chaque eucharistie : l’eucharistie c’est le don de Dieu, c’est Dieu lui-même que nous recevons.
Pour ce qui est de séparer le don du donateur, les deux frères de la parabole ne valent pas mieux l’un que l’autre. C’est bonnet blanc et blanc bonnet, kif-kif bourricot. L’un coupe franchement les ponts avec son père et dépérit loin de lui ; l’autre tente de ménager la chèvre et le chou, tout en s’attristant de ne pas pouvoir prendre le large le temps d’une soirée pour une chouille entre copains. Pour l’un comme pour l’autre, le père n’est pas la source de leur vie et de leur joie ; il est une contrainte, un fil à la patte, une cause de tristesse.
Pour tant de nos contemporains, le Bon Dieu est une contrainte et une cause de tristesse. La prière ? Quelle barbe ! La parole de Dieu ? Encore des injonctions ! Recevoir le pardon de Dieu au baptême et dans la confession ? Recevoir Dieu lui-même dans l’eucharistie ? Franchement, quel intérêt ?
Nous ne sommes pas à l’abri de cette tristesse desséchante que les anciens appellent l’acédie. Nous aussi nous sommes parfois dégoûtés de la prière, de la parole et des sacrements, comme le peuple d’Israël était dégoûté de la manne au désert. Nous aussi nous arborons parfois ces faces de carême sans Pâques, comme dit le pape François.
Si cela arrive, écoutons ces trois conseils de saint François de Sales. Primo veillons à notre équilibre : repos, alimentation, travail, il en faut assez mais pas trop ; celui qui est fatigué ou stressé ne peut pas prier. Secundo, demandons-nous si le problème ne vient pas de nous : négligence dans la prière, compromis avec le vrai et le bien, paresse pour connaître Dieu, sont autant de bûches humides qui étouffent notre bon feu intérieur. Au contraire, plus l’on connaît Dieu, plus on l’aime avec ardeur. Tertio, acceptons que Dieu nous refuse parfois les consolations pour que nous ne nous attachions pas aux sentiments de notre cœur, mais à lui seul.
Je voudrais nous laisser avec une dernière image. Aujourd’hui, c’est le dimanche de la joie, d’où les ornements roses. Trop souvent, les hommes s’attristent de Dieu. Au contraire, l’Évangile nous montre que Dieu se réjouit avec les enfants des hommes. Dieu est joie. Dieu est heureux de voir les hommes se convertir. Ce n’est pas à contrecœur mais avec une immense joie que Jésus s’attable avec les pécheurs. Et voyons cette joie exubérante du père qui retrouve son fils en vie. Un confrère libanais me disait combien il était totalement inconcevable pour un père de famille en Orient de se comporter comme le père de la parabole. Incroyable folie de la joie de Dieu. Voilà quelle est la joie de Dieu lorsqu’un pécheur pénitent revient à lui.
Frère et sœurs, chacun de nous peut faire la joie de Dieu en ce temps de carême. Je ne saurais trop vous recommander d’avoir recours au sacrement de la réconciliation, et je vous renvoie à la deuxième lecture d’aujourd’hui. Mais chaque jour, prenons quelques minutes pour relire notre journée, pour rendre grâce et pour demander pardon. « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi… » Soyons sûrs qu’à cet instant précis, un sourire radieux éclaire le visage de notre Père.
Père Alexandre-Marie