Allez suivre Jésus, vous aussi !
« C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. » La conclusion de la parabole peut paraître abrupte à première vue. En fait, cette conclusion fait écho à ce que disait Jésus juste avant : « Beaucoup de premiers seront derniers, beaucoup de derniers seront premiers. En effet, le Royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine etc. »
De fait, nous comprenons mieux la parabole d’aujourd’hui en voyant qu’elle est une réponse de Jésus à une question de Pierre. Récapitulons.
D’abord, un jeune homme riche est venu demander à Jésus comment obtenir la vie éternelle ; Jésus lui a demandé de vendre ses biens et de le suivre, mais le jeune homme s’est éloigné. Ensuite Jésus a parlé du danger des richesses : « Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux. » Enfin, Pierre a interrogé Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre : quelle sera donc notre part ? » Jésus a alors promis à ceux qui l’ont suivi une récompense et la vie éternelle en héritage.
C’est là qu’arrive notre parabole, et elle s’adresse aux disciples de la première heure, en tête desquels vient Pierre qui a interrogé Jésus. Le maître d’un domaine embauche des ouvriers pour sa vigne. Certains travaillent dès le point du jour, d’autres les rejoignent au fil de la journée, d’autres enfin arrivent au dernier moment. Tous reçoivent le même salaire, à l’indignation des premiers arrivés.
Étant donné que la parabole est une réponse à Pierre, il n’est pas absurde de dire que « allez à ma vigne » dans la bouche de Jésus fait écho à « te suivre » dans la bouche de Pierre. « Travailler à la vigne » équivaut à « suivre Jésus ».
Nous commençons alors à comprendre le sens profond de la parabole. « Le soir venu », c’est-à-dire à la fin du monde, au jour du jugement, la seule chose qui compte est d’être trouvé à l’œuvre dans la vigne, c’est-à-dire disciple de Jésus. Votre serviteur est quelqu’un qui aime arriver très en avance pour prendre un train. Et pourtant, j’arrive à destination exactement comme celui qui, échevelé et essoufflé, s’est engouffré dans le wagon au dernier moment.
Bref ! Que l’on suive Jésus depuis 100 ans, 80 ans, 30 ans ou 5 minutes, on recevra le même salaire, c’est-à-dire « la vie éternelle en héritage ». Mais est-ce que ce n’est tout de même pas un peu injuste ? Juste un peu ?
Tout d’abord, mettons-nous bien en tête que ne pas suivre Jésus ou, si vous préférez, passer toute la journée hors de la vigne, n’est pas une situation enviable.
La parabole nous décrit cela avec l’image du chômage : « Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ? _ Parce que personne ne nous a embauchés. _ Allez à ma vigne, vous aussi ! » Tandis que certains travaillaient, péniblement certes, mais avec la certitude d’un salaire, d’autres ont connu l’épreuve du désœuvrement, des heures interminables qui s’étirent tout au long de la journée ; l’épreuve aussi de ne pas être remarqués, reconnus, que personne ne mette sa confiance en eux pour accomplir une œuvre ; l’épreuve, enfin, de l’incertitude du lendemain. Le denier est le salaire normal d’une journée de travail. Celui qui n’a pas pu travailler aujourd’hui, de quoi vivra-t-il demain ?
Toujours à propos de ceux qui restent hors de la vigne, faisons un détour par le livre d’Isaïe, que la liturgie nous propose aujourd’hui en regard de la parabole. Le Seigneur appelle le méchant et le perfide – c’est-à-dire celui à qui on ne peut pas se fier – à changer de vie, à venir à lui, et lui promet qu’ils trouveront miséricorde en dépit de leurs crimes, « car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins. »
Ne pas travailler dans la vigne, c’est-à-dire ne pas suivre Jésus, ne pas chercher le Seigneur, c’est être, quelque part, en déshérence, en perdition. Cela n’a rien d’enviable, et l’on comprend que le Seigneur cherche par tous les moyens à faire travailler à sa vigne, moins pour que le travail soit fait que pour faire recouvrer à l’homme sa dignité.
Tout de même, cette manière de faire du Seigneur n’est-elle pas injuste ? « Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur ! »
Il est vrai que travailler à la vigne du Seigneur dès le point du jour peut paraître pénible. Il est vrai que suivre résolument Jésus chaque jour d’une longue vie peut paraître pénible. Dans la deuxième lecture, Paul résume le devoir du disciple : « Quant à vous, ayez un comportement digne de l’Évangile du Christ. » Ce n’est pas toujours une partie de plaisir de rester fidèle à la prière, à la méditation de la parole de Dieu et aux sacrements, d’identifier et de redresser ses vices, de développer ses vertus, de choisir chaque jour d’aimer, de reconnaître que l’on n’aime pas assez, de demander pardon et de compter toujours sur la miséricorde et jamais sur ses propres forces.
Lorsque nous avons un ami, il peut paraître parfois difficile d’entretenir l’amitié, de passer ce coup de fil, de rendre cette visite après une grosse journée, de pardonner ou de demander pardon, de s’expliquer plutôt que de couper le contact. C’est plus difficile, mais c’est tellement plus beau. Et combien plus lorsqu’il s’agit du mariage! Et combien plus lorsqu’il s’agit de la foi !
« Pour moi, vivre c’est le Christ », nous disait Paul. Que ce soit vrai pour nous aussi. Aujourd’hui, soyons heureux de le suivre, de travailler dans sa vigne par nos prières, notre conversion, nos petits efforts quotidiens. Réjouissons-nous surtout car, le soir venu, nous pourrons nous présenter devant lui, non pas arrogants mais reconnaissants, non pas âpres au gain mais confiants dans la récompense qui nous sera remise : l’héritage de la vie éternelle. Amen.
Père Alexandre-Marie Valder