Menace de vie
Frères et sœurs, nous sommes invités à la fête, au festin préparé par Dieu dont parle le prophète Isaïe, au banquet organisé par le roi pour célébrer les noces de son fils. À la fin de la Bible, nous voyons l’Église revêtue des actions justes des saints, comme une épouse habillée pour ses noces. Alors éclate le cri de joie répété à chaque Eucharistie : « Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ! (cf. Ap 19,9) »
Aujourd’hui, quelle que soit la rudesse de l’Evangile, gardons cette certitude fondamentale : tous sont appelés à la fête. À une époque où il n’était pas évident que les non-juifs puissent trouver grâce devant le Dieu unique, Isaïe précise que le festin est préparé « pour tous les peuples ». Tous les hommes, « les mauvais comme les bons », qui sont conviés aux noces dans la parabole.
La libéralité débordante du Seigneur pour tous n’est pas en contradiction avec l’invitation personnelle faite à chacun. Dans le rite du baptême et de la confirmation, chacun est appelé par son nom. En réponse à la prophétie d’Isaïe, nous avons chanté le psaume 22 : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. » À chacun de répondre personnellement, à chacun de cheminer vers le lieu de la fête en suivant, non le troupeau du berger, mais le berger du troupeau.
Le roi « envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir. » La violence disproportionnée, le meurtre des serviteurs, nous aiguillonnent : ici, il n’est pas juste question d’un roi et d’un repas de noces, mais du royaume des Cieux lui-même. C’est Dieu qui s’offre dans sa radicalité – puisque Dieu ne peut se donner à moitié – et non sans vulnérabilité. Il en va comme d’un amoureux qui se déclare : c’est tout lui-même qu’il met en jeu, en s’exposant à une blessure d’autant plus profonde qu’il aura ouvert plus largement son cœur. Et qui ouvre plus largement son cœur que Dieu ? Dieu adresse à tout homme une « menace de vie » (M. Steffens) : «Voilà toute la vie, toute la joie du monde. Tout est là. Si tu la reçois, tu seras heureux. Sinon, je n’ai tout simplement plus rien d’autre pour toi. »
Qui sont les premiers invités de la noce, ceux qui n’en étaient pas dignes ? Matthieu, en rapportant ces paroles de Jésus, pense d’abord au peuple juif qui n’a pas écouté les prophètes, qui les a mis à mort et qui a finalement tué Jésus lui-même. Attention : Matthieu n’est pas un député LFI. Comme Paul, comme tous les apôtres, il est lui-même un Juif qui polémique contre d’autre Juifs afin de leur faire reconnaître Jésus.
Et pour nous aujourd’hui, qui sont les premiers invités de la noce ? Peut-être les baptisés qui ont cessé de prêter l’oreille à l’invitation du Seigneur, et plus généralement toute personne qui, occupée à son champ ou à son commerce, passe toute sa vie sans jamais envisager ce qui vient après.
Alors, frères et sœurs, le refus des invités va-t-il mettre le projet de Dieu en échec ? Absolument pas ! Au contraire : le refus est l’occasion d’élargir encore l’invitation. Les premiers chrétiens, lecteurs de Matthieu, en ont fait l’expérience directe. Les pharisiens et les sadducéens ayant rejeté Jésus, celui-ci s’est tourné vers les petits, les pauvres, les publicains – comme Matthieu – et les prostituées. Le peuple d’Israël dans sa majorité ayant refusé de croire en Jésus, les apôtres ont offert aux païens le baptême qui plonge dans la mort et la résurrection de Jésus.
Aujourd’hui encore, le baptême qui donne la vie éternelle est offert à toute personne : un même baptême pour les enfants, les adultes et les anciens, pour les hommes et pour les femmes, de toute langue, couleur et origine, au passé vertueux ou tortueux. Consacrés par le baptême et la confirmation, nous sommes rendus capables de participer à l’eucharistie : « Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau. »
C’est précisément au baptême que nous avons été revêtus d’un vêtement : « Géraldine… Mathurin… Aurélia… Romaric… tu as revêtu le Christ : ce vêtement blanc en est le signe. » Ce vêtement de fête, nous l’avons retrouvé en faisant notre profession de foi. Aujourd’hui encore, quelques uns le portent visiblement pour rappeler que tous ont revêtu le Christ et ont la responsabilité de garder intacte cette dignité de fils et filles de Dieu.
« Le roi entra pour examiner les convives, et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce. » Ne serait-il pas étrange que le roi, Dieu lui-même, lui qui donne aux lis des champs un vêtement plus glorieux que celui du roi Salomon (cf. Mt 6,28-30), ait laissé ses invités sans leur fournir un vêtement de noce ?
Autant que l’Esprit-Saint et votre prière me donnent de le comprendre, le Christ lui-même est ce vêtement de noce que les baptisés ont revêtu, entretenu et embelli par une vie bonne. Ce baptême où le Christ est donné, c’est le baptême d’eau et d’Esprit donné dans l’Église ; c’est aussi le baptême de désir pour ceux et celles qui ont suivi le Christ sans pouvoir le connaître.
Vêtement et identité sont étroitement associés, comme l’ont montré les récentes polémiques sur les vêtements islamiques. Mon vêtement dit quelque chose de moi, de mes passions, de mes appartenances, de ma place dans le monde. Le policier en uniforme montre qu’il est habilité à interpeller, à s’adresser à autrui au nom de la loi. Le prêtre en étole et chasuble montre qu’il est habilité à appeler, à convoquer, à saluer et bénir l’Église au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Il peut arriver que la relation échoue, lorsque celui qui est interpellé par la police s’enfuit – et cela arrive ! –, lorsque l’assemblée saluée et bénie ne répond pas « Amen » – et cela arrive aussi ! –. Interrogé par le roi, l’invité du repas de noce reste muet. En nous donnant une place aux noces de l’Agneau, Dieu prend le risque d’être rebuté, en paroles ou en actes : « Seigneur, je veux bien participer au repas, mais sans revêtir le Christ. Je veux bien le bonheur éternel, mais sans conversation avec toi. »
Frères et sœurs, notre vêtement de chrétien est tout intérieur : que cela ne l’empêche pas d’être plus réel encore que toutes les abayas et autres qamis. Revêtons chaque jour ce vêtement de noce, c’est-à-dire notre identité chrétienne de fils et filles de Dieu, avec tout ce qu’elle implique de conversion et de conversation avec notre Père.
Père Alexandre-Marie Valder