Vigile Pascale : au milieu de la mer
Au milieu de la mer
Frères et sœurs, dans la lecture de l’Exode, il y a une expression qui revient à cinq ou six reprises : « au milieu de la mer » Trois fois, elle concerne les fils d’Israël : avant qu’ils entrent au milieu de la mer, pendant qu’ils s’engagent au milieu de la mer, et après qu’ils sont passés au milieu de la mer. Commençons par la fin.
Aujourd’hui, nous sommes comme ces fils d’Israël qui ont « marché au milieu de la mer à pied sec ». Parvenus sur l’autre rive, ils voient la mer revenue à sa place, les Égyptiens engloutis jusqu’au dernier, et ils laissent éclater leur joie.
En effet, pour le peuple d’Israël, qui n’est pas un peuple de marins, la mer, c’est la mort ; c’est le domaine du mal et des forces du chaos, des bêtes monstrueuses qui menacent les êtres humains. Lorsque le Seigneur Jésus marche sur la mer, il manifeste ainsi sa puissance qui s’étend même sur les forces de la mort.
Pour Israël, la mer, c’est la mort, et l’Egypte, c’est la servitude, l’esclavage, l’absence d’avenir. Ce jour-là, Israël s’est retrouvé pris en tenaille entre l’une et l’autre : ou bien la mort, ou bien l’esclavage. Dans tous les cas, c’était l’échec de la promesse de Dieu à Abraham. L’impasse totale.
Le Seigneur Jésus lui aussi s’est retrouvé pris en tenaille : ou bien recourir au mensonge et à la violence pour échapper aux mains de ses ennemis, ou bien se laisser conduire par eux à une mort certaine. Ou bien renier tout ce qu’il avait fait et enseigné jusque là, ou bien souffrir la torture et la mort sur la croix. Dans tous les cas, c’était l’échec du dessein du Père pour l’humanité. L’impasse totale.
Il n’y a pas d’impasse pour Dieu. Sa main est assez puissante pour délivrer au-delà de tout espoir. Israël a vu l’Egypte entrer au milieu de la mer et la mer se refermer sur elle. La mer est derrière nous, l’Egypte est derrière nous : plus jamais la mort, plus jamais l’esclavage. La lourde pierre du tombeau non plus n’a pas pu retenir le Fils, n’a pas pu empêcher la main du Père de le ressusciter d’entre les morts. Le tombeau est derrière : il est vivant et n’y retournera plus jamais. Alléluia !
Frères et sœurs, revenons à notre expression « au milieu de la mer. » Aujourd’hui nous sommes aussi comme ces fils d’Israël qui « entrèrent au milieu de la mer à pied sec, les eaux formant une muraille à leur droite et à leur gauche », poursuivis par les Egyptiens. Aujourd’hui, nous sommes encore d’une certaine façon au milieu de la mer.
Le jour de notre baptême, nous avons été plongés dans la mort du Christ. C’est saint Paul qui nous le dit ce soir : « Nous tous qui avons été unis au Christ Jésus, c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême… nous avons été mis au tombeau avec lui. » Nous croyons que, comme le Christ est ressuscité, nous ressusciterons nous aussi. Toutefois, même si la vie nouvelle est déjà commencée, nous n’en voyons encore que les prémices.
Ainsi, nous, l’Église du Christ, nous sommes encore comme le peuple d’Israël marchant au milieu de la mer, faible et petit entre deux murailles d’eau, avec les Egyptiens à leurs trousses. Mais, et si la mer revenait maintenant ? Et si les Egyptiens nous rattrapaient ? Ici et maintenant, nous sommes réunis pour célébrer Pâques. Mais, et s’il n’y avait pas de prêtre l’année prochaine ? et s’il n’y avait plus d’église dans dix ans ?
Entrés au milieu de la mer, nous sommes comme les femmes de l’Évangile entrées dans le tombeau la peur au ventre. C’est là, au plus profond de nos doutes et de nos peurs, que la parole du Seigneur vient nous interpeller.
En effet, frères et sœurs, revenons une dernière fois à notre expression « au milieu de la mer. » La première fois qu’elle apparaît dans le texte, c’est dans la bouche du Seigneur lui-même : « Fends [la mer] en deux, dit-il à Moïse, et que les fils d’Israël entrent au milieu de la mer à pied sec. »
À l’heure où nous parlons, plusieurs dizaines d’hommes et de femmes de notre diocèse vont recevoir le baptême, dans la foi en la parole du Seigneur qui a promis qu’en entrant avec lui au milieu de la mer, au milieu de la mort, ils ressusciteraient avec lui pour la vie éternelle.
Nous aussi, en communion avec eux, nous sommes replongés dans la source de notre baptême. Durant le carême, nous avons prié, jeûné, partagé, nous nous sommes convertis, nous nous sommes rapprochés du Seigneur Jésus. En recevant le sacrement du pardon, nous avons retrouvé la fraîcheur originelle de notre baptême. Les lectures nous ont fait revivre les merveilles du Seigneur pour l’humanité.
Ce soir, nous allons renouveler les promesses qui ont été faites par nos parents, parrains et marraines autrefois : nous allons tourner le dos à l’Egypte en rejetant le diable et tout ce qui conduit au péché ; en redisant notre foi en Dieu Père, Fils et Esprit Saint, nous allons renouveler notre confiance au Seigneur. Ensuite, nous serons aspergés d’eau baptismale en mémoire de notre baptême.
Lorsque nous dirons trois fois « je le rejette » puis trois fois « je crois », que notre cœur et notre vie tout entière s’accordent à nos paroles.
Frères et sœurs, au cœur de cette vigile de Pâques, nous sommes ces fils d’Israël sur le point d’entrer au milieu de la mer sur la parole du Seigneur ; nous sommes aussi ces fils d’Israël marchant déjà au milieu de la mer, partagés entre la peur et la confiance ; nous sommes enfin ces fils d’Israël déjà passés au milieu de la mer, déjà certains de la victoire acquise par le Seigneur.
La mer est derrière nous. La mort est derrière nous. « Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité. » Alléluia !
Père Alexandre-Marie Valder