De la peur au témoignage
De la peur au témoignage
Une petite fille rentre de l’école en pleurant. Elle ne veut plus aller à la piscine, car sa copine musulmane lui a dit que, si elle se baignait avec les garçons, elle irait en enfer. Un adolescent s’inquiète à en perdre le sommeil : comment se protéger des esprits mauvais et des fantômes ? D’autres sont rongés d’angoisses : violences, guerres, catastrophes, dérèglement climatique… où va le monde ? où va ma vie ? est-ce que quelqu’un tient le volant de l’univers ou bien est-ce que nous sommes des tas d’atomes jetés dans le néant ? Aujourd’hui, les ados vivent dans la peur.
Bien loin de nous, il y a dix-sept siècles, un autre adolescent, au contraire, se moquait de l’empereur qui lui commandait de renier le Christ sous peine de mort. Il avait quatorze ans. Il s’appelait Pancrace. Comme tous les jeunes de son âge, il aimait la vie. Cependant, il ne craignait pas la mort. Pancrace avait reçu le témoignage de la résurrection, et ce témoignage lui a donné la force de devenir à son tour un témoin, c’est-à-dire un martyr, puisque « martyr » signifie « témoin ». Pancrace était passé de la peur au témoignage.
Tout a commencé avec ces douze témoins de la résurrection, les apôtres. La première lecture nous racontait l’élection de Matthias en remplacement de Judas. Il fallait ces douze témoins, ces douze piliers, capables de témoigner, de raconter tout ce qui s’était passé depuis le baptême de Jésus jusqu’à son Ascension. Lorsque nous méditons les mystères du rosaire en ce mois de mai, c’est aussi ce que nous faisons : nous laissons Marie nous raconter encore et encore l’histoire des événements de la vie de son fils.
L’Évangile est une histoire. Un jour, un ami s’assoit à côté de moi. Voyant que je venais d’achever de prier l’office, il me dit : « Alors, quelle est la leçon du jour ? » Ce jour-là, on lisait la parole de Pierre racontant au centurion Corneille la vie, la mort et la résurrection de Jésus pour le salut de tous. J’ai alors réalisé que l’Évangile n’est pas un répertoire de préceptes, comme le pensait mon ami, un peu comme les phrases de morale de l’école d’autrefois. L’Évangile est une histoire, c’est un récit.
D’ailleurs, l’apôtre Jean commence sa première lettre en écrivant : « Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. Oui, la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage. » Dans la lecture d’aujourd’hui, il nous disait ceci : « Quant à nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde. »
Les apôtres ont vu, entendu et touché et ils en font le récit. Chacun à sa manière, ils racontent tous la même histoire « Il y a quelques années, en Galilée, nous avons rencontré un homme appelé Jésus. Il a été baptisé par Jean dans le Jourdain. Ses actes et ses paroles étaient dignes de Dieu lui-même. Il disait n’être qu’un seul Dieu avec le Père. Il a été crucifié puis nous l’avons revu vivant. Il est le Seigneur. Par sa croix et sa résurrection, il a sauvé le monde entier. Il s’est assis à la droite du Père, il nous a donné part à son Esprit Saint et il nous a envoyés dans le monde. Nous l’avons reconnu, et nous sommes passés de la peur au témoignage. »
Parfois, nous avons la chance de rencontrer des personnes curieuses de Dieu qui ignorent absolument tout de notre foi. Elles sont vierges de tout préjugé. Un jour, après avoir entendu l’annonce de la foi, un jeune homme a dit : « Si c’est vraiment vrai, tout ça, alors ça change tout. »
C’est exactement ça. Si le récit des douze apôtres et des autres témoins de la Résurrection est vrai, alors ça change tout, et il devient sensé, même si cela reste héroïque, de choisir de donner sa vie par fidélité au Seigneur Jésus, comme l’a fait saint Pancrace. Il devient sensé, même si cela reste difficile, de se rire des menaces des hommes et des esprits mauvais, car nous savons que nous sommes dans les bras de celui qui gouverne l’univers entier, celui qui a prié pour ses disciples et qui a dit à leur propos : « J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu ». Il devient sensé, même si c’est un combat de chaque jour, de garder la joie et l’espérance en dépit des contradictions, de passer de la peur au témoignage.
En fait, il en va de notre vie chrétienne comme de ces exercices de rédaction que nous faisions en classe, lorsque le professeur nous donnait le début d’un récit et que nous devions en imaginer une suite. « Jésus-Christ t’aime. Il a donné sa vie pour te sauver. Et maintenant, il est à tes côtés chaque jour pour t’éclairer, pour te fortifier, pour te libérer. » À toi d’écrire la suite.
Et pourtant, peut-être que la petite fille de la piscine a raison d’avoir peur d’être jetée en enfer par un dieu capricieux et puritain. Peut-être que l’adolescent aux fantômes a raison de penser qu’il est sans défense dans un monde rempli de forces maléfiques. Peut-être que nos ados ont raison en disant que le monde n’a aucun sens. Peut-être que saint Pancrace a sacrifié sa vie pour rien.
Quant à moi, je sais qu’il a existé un homme nommé Jésus, qui a appelé à l’amour des ennemis et à la confiance en un Dieu Père. Il a été condamné pour blasphème et crucifié sous Ponce Pilate. Je sais que son tombeau a été trouvé vide le troisième jour et que ses disciples racontent qu’ils l’ont vu vivant. Ce qu’ils ont vu, entendu et touché a été suffisamment fort et déterminant pour les convaincre de tout quitter, femme, métier, maison, pays, pour partir en rendre témoignage, jusqu’à la mort. Fait-on cela pour un canular que l’on a bâti de toutes pièces ?
À l’approche de la Pentecôte, appelons l’Esprit Saint. Qu’il nous fasse passer de la peur au témoignage. Nous le croyons : par sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ a sauvé le monde entier ; il est auprès du Père dans la gloire ; son Esprit nous est donné pour nous préparer à l’y rejoindre. Que cette espérance soit notre joie.
Père Alexandre-Marie Valder