Libérés pour servir et aimer

Libérés pour servir et aimer

Il y a quelque temps, quelqu’un m’a attrapé juste une minute avant le début de la messe : « Mon père, j’ai fait ceci, je n’ai pas fait cela, est-ce que j’ai le droit de communier ? » J’étais pris de court, j’ai donné la mauvaise réponse, quelque chose comme : « Euuuh… oui, bien sûr. Allez-y. » Quelle aurait été la bonne réponse ? « Je ne sais pas. Et vous, en tant que disciple de Jésus, qu’en pensez-vous ? »

Ma réponse, la mauvaise, a laissé la personne dans sa mentalité étroite d’interdits, de droits et de devoirs, alors que j’aurais dû la renvoyer à sa propre liberté de discerner si, oui ou non, elle pouvait communier, si oui ou non cela avait du sens pour elle, ou s’il était préférable d’attendre. Comme il est facile, à l’un de donner des règles, à l’autre d’y obéir, ce qui le dispense de réfléchir !

Cette anecdote illustre qu’il n’est pas si facile d’être libre. Voilà pourquoi, après avoir libéré son peuple de la servitude en Egypte, le Seigneur Dieu lui a donné une Loi à mettre en pratique. À première vue, on pourrait se dire : « Quelle arnaque ! Passer de la loi du pharaon à la Loi de Dieu, bonjour la liberté. »

En réalité, le Seigneur nous connaît bien, et il sait que nous avons besoin de lui pour apprendre l’art délicat de vivre libres. Combien d’hommes et de femmes que l’on croit libres parce qu’ils ne sont ni enchaînés ni fouettés vivent en fait comme des esclaves de leur métier, de leurs activités, de leur téléphone, de l’argent, du regard des autres ? D’une certaine façon, la liberté ne nous est pas naturelle ; nous avons besoin d’y être rééduqués.

Être libre, ce n’est pas confortable, et nous sommes tous tentés de nous replacer bien vite sous une règle qui nous dispensera de trop réfléchir. Voyons l’Évangile d’aujourd’hui : s’attacher à la tradition du lavage des mains, du visage et des coupes évite de trop réfléchir aux pensées perverses – c’est le mot de Jésus – qui habitent le cœur. Je le vois beaucoup chez les jeunes générations, qui plébiscitent les courants religieux qui leur imposent des carcans d’interdits, de droits et de devoirs, et aussi chez les plus anciens, comme dans l’histoire que je vous racontais.

 Se placer sous une règle dispense de trop réfléchir. Mais refuser toute règle, vivre selon son caprice du moment, n’est pas non plus une solution. Nous les êtres humains, nous ne sommes pas faits pour la soumission et la servitude, et pas non plus pour suivre nos penchants et nos caprices, ce qui est une autre forme de servitude. Nous sommes faits pour la liberté des enfants de Dieu.

La liberté des enfants de Dieu, cela ne signifie pas que tout soit permis et que tout se vaille. C’est la liberté de faire ce qui est bien, bon, vrai et beau. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, le Seigneur Jésus ne dit pas qu’il n’y a pas de pur et d’impur ; il renvoie chacun au commandement de Dieu et à son propre cœur. « Ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »

Là où certains voudraient une loi tatillonne à observer, ou bien pas de loi du tout, le chemin de la liberté authentique est celui du discernement à la lumière de la parole de Dieu. Repensons à mon anecdote du début. Qu’est-ce qui est le plus digne d’un chrétien, disciple de Jésus, enfant du Père : obéir bêtement à son curé ou discerner à la lumière de la parole de Dieu ? Pensons à la délicate question des personnes divorcées remariées. Qu’est-ce qui est digne d’un enfant de Dieu : obéir à une règle sans la comprendre, ou bien refuser d’en tenir compte, ou bien encore prendre le recul nécessaire pour discerner en conscience ce qui est juste, avec le repère de la parole de Dieu ?

Dieu le Père, nous dit saint Jacques dans la lecture, « a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures. » Sa création bouleversée et désordonnée par le péché, notre Dieu la restaure, la remet debout, la remet en ordre ; et cela commence par nous, l’Église.

Notre Père nous engendre par sa parole de vérité. Il nous fait renaître en nous parlant, en s’adressant à nous, en nous appelant. Notre Dieu ne nous laisse pas seuls avec nos caprices, et il ne nous impose pas non plus un carcan de règles ; il établit avec nous un dialogue. Le Seigneur notre Dieu dialogue avec nous par cette parole proclamée dans nos assemblées ou méditée dans nos maisons. Dans l’Église catholique, nous avons la chance de ne pas être seuls face à l’Écriture : les homélies, les commentaires bibliques, la tradition d’interprétation nous aident à mieux comprendre ce que Dieu nous dit à travers la Bible.

Ne craignons pas de nous tromper ; en un sens, c’est au Seigneur qu’incombe la responsabilité de se mettre à notre niveau, de nous parler de façon à ce que nous le comprenions… ou bien de faire avec nos incompréhensions. Ne craignons donc pas de nous tromper ; craignons seulement de rester sourds à la parole que le Seigneur nous adresse.

L’enjeu, en effet, c’est rien moins que notre bonheur. Dans un verset qui a été coupé dans la lecture d’aujourd’hui, saint Jacques écrit : « Celui qui se penche sur la loi parfaite, celle de la liberté, et qui s’y tient, lui qui l’écoute non pour l’oublier, mais pour la mettre en pratique dans ses actes, celui-là sera heureux d’agir ainsi. »

Dieu notre Père nous adresse sa parole de vérité. Il nous dit : « Voilà qui je suis et ce que je fais pour toi : un Père qui t’aime inconditionnellement et qui désire ton amour. Voilà qui tu es : un pécheur certes, mais d’abord une personne infiniment aimée et appelée à la sainteté. Voilà qui sont ceux qui t’entourent : des pécheurs aussi, mais d’abord des frères et des sœurs que je te donne à servir et à aimer, comme mon Fils Jésus l’a fait. »

Père très bon, que ta Parole de vérité, qui est ton propre Fils, vienne nous engendrer chaque jour à la vie nouvelle, que ton Esprit d’amour nous rende de plus en plus libres pour aimer. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder