Restauration en cours
« Notre Dieu, il est au ciel ; tout ce qu’il veut, il le fait. Leurs idoles : or et argent, ouvrages de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas, des narines et ne sentent pas. Leurs mains ne peuvent toucher, leurs pieds ne peuvent marcher, pas un son ne sort de leur gosier ! Qu’ils deviennent comme elles, tous ceux qui les font, ceux qui mettent leur foi en elles. »
Frères et sœurs, cet extrait du psaume 113 ne fait pas partie des lectures de ce dimanche. Gardons-le cependant dans un coin de notre mémoire en commentant l’évangile d’aujourd’hui, car cela éclaire un aspect de la mission du Seigneur Jésus.
Tous les hommes sont plus ou moins idolâtres. Tous, nous vivons plus ou moins consciemment en soumettant notre vie à quelque chose qui n’en vaut pas vraiment la peine, en lui sacrifiant ce qui ne revient qu’à Dieu seul. Nos idoles ne s’appellent plus Baal, Mammon ou Zeus, mais plutôt ego, argent, apparences, autonomie, tolérance, sécurité, etc.
Ceux qui fabriquent des idoles et s’attachent à elles deviennent semblables à elles, affirme le psaume que je vous ai cité. Ce diagnostic sévère n’est pas si éloigné de notre expérience : notre civilisation du numérique, des écrans et de la connexion a forgé des humains superficiels, prisonniers des apparences, obsédés par l’efficacité et la rapidité, devenus presque incapables de prendre en compte le temps long de la croissance, la fidélité, la gratuité, la fragilité, les limites.
L’une des dimensions du péché est d’être une maladie, une paralysie qui rend semblable aux idoles auxquelles on s’attache. Rappelez-vous : « elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas, des narines et ne sentent pas. Leurs mains ne peuvent toucher, leurs pieds ne peuvent marcher, pas un son ne sort de leur gosier. »
Par conséquent, le salut apporté par le Seigneur Jésus s’apparente à une guérison, une rééducation, et même une recréation. Les miracles de Jésus, spécialement les guérisons, expriment que le salut concerne la personne humaine tout entière, rendue capable de voir, d’entendre, de parler, de toucher, de marcher.
Le fait du miracle dit aussi que le salut du Seigneur supasse nos forces humaines. Dans le conte populaire allemand, le baron de Münchhausen, tombé dans les sables mouvants, s’en extrait, ainsi que son cheval, en se tirant lui-même par les cheveux. En ce qui nous concerne, ce n’est pas possible : le salut ne peut venir que de l’extérieur, du Seigneur qui vient nous sortir d’une situation pour nous insoluble.
Dans l’évangile d’aujourd’hui, on présente au Seigneur Jésus un homme qui peine à entendre et à parler, semblable aux idoles sourdes et muettes des temples ; et le Seigneur le recrée, le restaure, refait de lui un être de parole, un être qui peut accueillir et redonner la parole. Souvenez-vous de ce verset des lectures de dimanche dernier : « le Père a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures. »
Le Seigneur Jésus est venu dans le monde pour refaire de tout homme, toute femme, un être qui accueille la parole, c’est-à-dire lui-même, le Verbe, la Parole de Dieu. Avant l’évangile, nous nous sommes marqués de trois petites croix, désireux que la parole proclamée vienne s’enraciner jusqu’au plus intime de nous-mêmes.
Le Seigneur fait aussi de nous des êtres capables de redonner la parole reçue : en priant, en bénissant, en louant le Seigneur, mais également en témoignant de lui dans le monde, et aussi en conseillant, en réconfortant, en complimentant, en avertissant, et en instruisant notre prochain, autant de beaux usages de la parole dont cet homme guéri par Jésus est désormais à nouveau capable.
Ailleurs dans l’Évangile, le Seigneur Jésus recrée des aveugles afin qu’ils voient la lumière. Les idoles ont des yeux mais elles ne voient ni ne regardent. Le vrai Dieu, lui, est lumière (1Jn 1,5). Jésus est la lumière du monde (Jn 9,5), comme le sont aussi ses disciples (Mt 5,14). À ceux dont les yeux sont bouchés, Jésus redonne des yeux pour voir la gloire, c’est-à-dire le rayonnement de la beauté de Dieu, pour voir tous les hommes comme des frères et des sœurs et pour porter sur eux un regard qui les valorise et les réconforte. C’est justement ce regard pur qu’avaient perdu les lecteurs de l’apôtre Jacques, aussi leur reproche-t-il de regarder différemment le riche et le pauvre, de ne plus voir dans le pauvre un héritier du Royaume.
Ailleurs encore, c’est le mouvement que Jésus rétablit : main desséchée, pied boiteux, dos tordu, corps paralysé, toujours à l’image de ces idoles qui ont des mains qui ne touchent pas et des pieds qui ne marchent pas. Le Seigneur notre Dieu, au contraire, est le Dieu artisan qui façonne l’être humain, le Dieu pèlerin qui marche au désert et qui visite son peuple, et même qui danse joyeusement pour lui (So 3,17). Grâce au Seigneur Jésus, des hommes et des femmes sont rendus capables de marcher avec Dieu et d’agir à son image et à sa ressemblance : sortir vers les autres, donner le pain aux affamés, redresser les accablés, soutenir la veuve et l’orphelin, comme le dit le psaume d’aujourd’hui.
Ailleurs enfin, c’est la vie même que le Seigneur Jésus restaure : la fille de Jaïre, le fils de la veuve de Naïm, Lazare. Par sa victoire définitive sur la mort et sa résurrection, le Seigneur Jésus ouvre à tous une espérance qui englobe et dépasse tous les rêves des hommes et des femmes : voir Dieu, l’entendre, le célébrer, danser pour lui, vivre de sa propre vie, pour toujours
Dès maintenant, par le baptême et la confirmation, le Seigneur Jésus nous a recréés : il a fait de nous des êtres dociles à sa parole, transparents à sa lumière, disponibles à son service, vivant déjà de sa vie divine. Cette œuvre de restauration qu’il aurait pu accomplir en un instant, il veut qu’elle dure toute notre vie, que nous soyons partie prenante de notre propre rééducation à la parole, à la lumière, au mouvement, à la vie. Louange au Seigneur, par tout ce qui vit et respire. Amen.
Père Alexandre-Marie Valder