Un grand prêtre éprouvé en toutes choses

Un grand prêtre éprouvé en toutes choses

Un grand prêtre éprouvé en toutes choses

Frères et sœurs, nous venons d’entendre un extrait de cette partie du livre d’Isaïe qu’on appelle les chants du Serviteur souffrant, en relation avec l’évangile où le Seigneur Jésus, une fois de plus, rappelle qu’on ne saurait le suivre sans prendre sa croix, sans boire à la même coupe que lui, sans être plongé dans le même baptême que lui. Quant à la lettre aux Hébreux, elle présente le Seigneur Jésus comme le grand prêtre qui, au travers des épreuves, s’offre lui-même en notre faveur. Tout cela m’invite à méditer avec vous sur le thème de la souffrance : en quoi notre foi en Jésus souffrant, mort et ressuscité éclaire-t-elle le mystère de la souffrance ? comment aborder le mystère de la souffrance en chrétiens et non en païens ?

Dans sa lettre consacrée au mystère de la souffrance, le saint pape Jean-Paul II en parle comme de quelque chose qui contraint l’homme à se dépasser, à regarder au-delà de lui-même, vers le passé : pourquoi, à cause de quoi, la souffrance ? et vers l’avenir : pour quoi, en vue de quoi, la souffrance ? C’est dans l’épreuve que ceux qui ne pensent pas à Dieu en temps normal se tournent vers lui et se rendent disponibles pour accueillir une parole de révélation.

 « Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur », avons-nous entendu à l’instant. À l’encontre du vieux réflexe païen, il faut affirmer que Dieu ne prend pas plaisir à la souffrance humaine. C’est la façon dont une personne vit la souffrance qui peut plaire à Dieu, et non la souffrance elle-même. Dans le cas du Seigneur Jésus, c’est son amour, son obéissance et sa confiance, même dans la passion et la mort, qui lui ont fait trouver grâce.

Etant donné que Dieu ne prend pas plaisir à la souffrance humaine, elle n’est pas non plus une punition en conséquence immédiate d’une faute donnée. « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter cela ? » est une question païenne qui doit mûrir en une attitude chrétienne.

Les disciples de Jésus, comme tous les humains, connaissent la souffrance. Cependant, lorsque la souffrance survient, nous croyons et nous affirmons que Dieu n’est jamais contre nous, comme celui qui nous fait souffrir ou comme celui que nous devons amadouer ou convaincre pour qu’il retire la souffrance ; Dieu est toujours du côté de celui qui souffre. Un psaume (90,15-16) le dit : « Je suis avec lui dans son épreuve. Je veux le libérer, le glorifier ; de longs jours, je veux le rassasier, et je ferai qu’il voie mon salut. »

 Allons plus loin. Dans l’expérience commune, la souffrance va de pair avec l’isolement. Même si nous sommes bien entourés, personne ne peut nous accompagner dans notre souffrance. Et cela vaut tout spécialement pour la mort qui n’est pas, comme le pensent les païens d’hier et d’aujourd’hui, la fin de la souffrance, mais son paroxysme. En effet, si nous croyons que l’existence est toujours un bien (« Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon (Gn 1,31) », alors la mort est vraiment le concentré de toute la souffrance humaine.

Or justement, comme chrétiens, nous osons affirmer que la personne qui souffre et qui meurt n’est pas seule, parce que le Fils de Dieu en personne a choisi d’embrasser tout cela, d’être pour nous « un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché ». Il est venu habiter la souffrance par sa présence, selon le mot de Paul Claudel.

« Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Dieu, n’est pas venu pour que l’on souffre et meure pour lui – encore moins pour que l’on fasse souffrir et mourir pour lui – mais pour souffrir et mourir pour nous. Il a plongé dans la souffrance et la mort afin que tout homme qui s’y trouve plongé ne périsse pas, n’y soit pas englouti pour toujours, mais qu’il puisse reprendre pied sur la terre ferme du Royaume.

 Mais alors, notre souffrance et notre mort sont-elles inutiles, tout juste bonnes à être dépassées et laissées derrière nous ? Ce n’est pas ce que croient les chrétiens.

De nos jours, le souci écologique conduit les humains à valoriser les déchets par le réemploi, le recyclage, la réutilisation. Ces pratiques qui visent à transformer la perte en profit, le rebut en ressource éclairent ce que Dieu fait de neuf avec notre souffrance et notre mort. Si la souffrance et la mort ne pouvaient être valorisées, alors ce serait cruel de la part de Dieu : vous allez aller au paradis (ou pas), mais avant ça, vous allez en baver pour rien.

Lorsque le prophète Isaïe affirme que le Serviteur verra une descendance et la lumière, qu’il justifiera les multitudes, il entrevoit la mystérieuse fécondité de la souffrance et de la mort. Saint Jean-Paul II ose même parler de « l’Évangile de la souffrance » pour exprimer que la souffrance du Christ porte du fruit – une fois encore, non pas elle-même, mais l’attitude qui la sous-tend. Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui donne le salut au monde entier par sa mort et sa résurrection, est au cœur de notre foi chrétienne.

Cette fécondité de la passion, le Seigneur l’ouvre à ses disciples. « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé. » Par leurs épreuves et leur martyre, les apôtres ont été associés à la souffrance féconde de leur maître. Avant eux, la Vierge Marie avait communié intimement à la passion. Il en fut de même pour les milliers et milliers de martyrs de l’histoire de l’Église, et aussi pour tous les chrétiens qui se sont unis au Seigneur Jésus dans leurs contrariétés, leurs épreuves et même leurs souffrances.

Unies à la passion du Christ, nos propres passions ne sont plus des déchets. Elles sont valorisées, elles deviennent utiles pour les autres, fécondes, salvifiques, grâce à notre grand prêtre Jésus-Christ, à lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder