À merveille, merveille et demie

À merveille, merveille et demie

À merveille, merveille et demie

« Seigneur, tu as merveilleusement créé l’être humain dans sa dignité, et tu l’as rétabli plus merveilleusement encore : accorde-nous d’être unis à la divinité de ton Fils, qui a voulu prendre notre humanité » : ce sont les mots que l’Église nous donne pour prier en ce matin de la Nativité du Seigneur. Cette prière fait écho à celle que le prêtre ou le diacre prononce à voix basse en versant un peu d’eau dans le calice pendant la préparation des dons à l’autel : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a voulu prendre notre humanité. »

Par amour pour nous, pour s’approcher de nous, le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu qui partage la divinité du Père, a voulu avoir part à notre humanité. Lui qui est éternel et tout-puissant, il a voulu entrer dans les limites du temps et de la finitude humaine. Sans renoncer à ce qu’il est par nature, il a accepté de faire siennes les limites de notre nature.

Les Pères grecs ont un beau mot pour désigner cette démarche du Fils qui s’abaisse par amour pour nous rejoindre : ils parlent de la condescendance, un mot qui a malheureusement pris une connotation péjorative qu’il n’avait pas à l’origine. La condescendance de Dieu, c’est celle de l’adulte qui se met à genoux à la hauteur de l’enfant, celle du natif qui se force à parler de manière claire et distincte pour être compris de l’étranger, celle de l’aidant qui s’adapte au rythme de la personne malade qu’il assiste.

 Le Fils a fait mieux que prendre notre humanité comme on choisit sa tenue pour la journée : il l’a reçue, comme nous avons reçu notre humanité concrète de Dieu et de nos parents. Car être humain, c’est d’abord naître humain, de façon totalement passive, sans en choisir le lieu, le moment et les conditions, en se recevant entièrement d’autres personnes.

« On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille, chantait Maxime Leforestier en 1988. On choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher […]. Être né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard. » Le Fils est né quelque part. Il n’a pas choisi son humanité sur catalogue : il l’a reçue du Père et de Marie.

Le Fils a pris notre humanité, et il a par conséquent accepté d’être Untel, Jésus de Nazareth. Ni un autre, ni tout le monde. Être qui je suis, avec toutes les limites inhérentes à cela – je suis homme et pas femme, je suis Français et pas Russe, je suis né à la fin du XXe siècle et pas au milieu du XVIe – rien de cela n’est un obstacle pour être en communion avec Dieu. Seul le péché l’est.

 Le péché introduit le désordre dans la création et sépare l’humanité de Dieu. Le Père n’a pas voulu se résoudre à ce que le péché éloigne pour toujours la nature humaine qu’il a créée pour la communion avec lui. Par amour pour le Père et pour nous, le Fils est sorti du sein du Père tel le berger à la recherche de la brebis perdue qu’il a prise sur ses épaules et reconduite au bercail. « Rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être, le Fils, qui porte l’univers par sa parole puissante, après avoir accompli la purification des péchés, s’est assis à la droite de la Majesté divine dans les hauteurs des cieux. »

Cette humanité que le Fils a prise, il ne l’a pas laissée derrière lui au moment de venir prendre place à la droite du Père. Au contraire, il l’a emportée avec lui, il lui a réservé une place d’honneur à la droite du Père. Le Fils ne s’est pas travesti en homme ; il a épousé la nature humaine en un mariage indissoluble, « comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance ».

Il y a désormais une place en Dieu pour la nature humaine, et aussi pour l’homme concret qu’est Jésus de Nazareth, pour la femme concrète qu’est Marie sa mère, élevée au Ciel avec son âme et son corps. Une place est préparée en Dieu pour toute personne. Il y a une place pour moi. Sans cela, que m’importe que le Verbe se soit fait chair, que le Fils soit devenu homme autrefois ? À quoi bon se réjouir que le Fils ait pris notre humanité sans la promesse d’être unis à sa divinité ?

 La création qui a fait passer chacun de nous du néant à l’être est une merveille. Plus grande encore est la merveille de notre rédemption, de notre divinisation. L’Esprit Saint, l’Esprit du Père et du Fils, est répandu sur nous.

C’est le même Esprit qui est venu sur Marie afin que le Verbe se fasse chair et habite parmi nous ; le même Esprit qui vient sur un homme ou une femme pour en faire un fils ou une fille du Père ; le même Esprit qui vient sur le vin mêlé à l’eau afin qu’il devienne le sang du Christ ; le même Esprit qui vient sur notre assemblée pour en faire l’Église, le corps du Christ.

C’est le même Esprit qui vient à notre appel sur nous et en nous. Il y a aussi une condescendance de l’Esprit Saint qui s’adapte à la personne unique qu’est chacun, qui accompagne chacun de façon personnalisée. Une mystique suisse, Adrienne von Speyr, a bénéficié d’un aperçu du travail d’orfèvre de l’Esprit avec chaque personne, poussant celui qui a besoin de courage, réfrénant les ardeurs de cet autre, éclairant celui-ci pour qu’il progresse, laissant celui-là dans l’ombre pour qu’il reste humble. La patience de l’Esprit, sa douceur, sa pédagogie avec chacun sont un motif d’action de grâce.

 Frères et sœurs, puisqu’aujourd’hui le Fils a voulu prendre notre humanité, appelons sans cesse l’Esprit par lequel nous recevons la grâce d’être unis à sa divinité. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit pour les siècles des siècles. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder