Ô Christ ressuscité, exhausse-nous (Pâques)

Ô Christ ressuscité, exhausse-nous
J’ai célébré les jours saints avec une communauté hors de nos paroisses. Une erreur s’était glissée dans le refrain de la prière universelle, qui disait : « Ô Christ ressuscité, exhausse-nous » Mais était-ce vraiment une erreur ou bien plutôt un clin d’œil de l’Esprit Saint ?
À la réflexion, il est vrai que le Christ ressuscité nous exhausse, qu’il nous conduit vers le haut. D’ailleurs saint Paul nous le disait dans la lecture : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut, c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. » Le Christ lui aussi l’avait promis à ses disciples : « Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. »
Frères et sœurs, ayons une espérance à la mesure des promesses du Seigneur. Le Seigneur ne nous promet rien de moins que cela : vivre par lui, avec lui et en lui pour toujours, être comblés de la joie de Dieu pour toujours, être transfigurés et transformés par le feu de l’Esprit Saint. Cette promesse dépasse infiniment toutes les perspectives de bonheur que nous pouvons nous former.
Cela a une conséquence très concrète. La béatitude promise est radicalement hors de notre portée. Personne ne peut forcer la serrure du cœur de Dieu. Personne ne peut se hausser en Dieu par ses propres forces. Personne non plus ne monte automatiquement en Dieu après sa mort comme un ballon à l’hélium dont on coupe la ficelle. En effet, si, tant que nous sommes vivants, il nous est impossible de nous hausser en Dieu, combien plus lorsque nous serons morts.
C’est le Christ ressuscité, et lui seul, qui nous exhausse. Sans le Christ ressuscité, pas d’autre destinée pour les morts que la descente aux lieux inférieurs du monde, ceux que l’on appelle l’hadès, le shéol, les enfers.
L’enfer – au singulier – est le lieu préparé pour ceux, anges et humains, qui auront refusé l’offre d’amour. Les enfers – au pluriel – sont le séjour des morts, le lieu où le Christ est descendu pour en tirer ceux qui étaient morts dans l’amitié de Dieu et les faire monter, les exhausser en Dieu.
En nous exhaussant, le Christ ressuscité nous a fait passer de bas en haut. Et je dis bien « il nous a fait passer ». C’est fait. « En effet, nous dit saint Paul, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. » Ressuscités avec le Christ, nous le sommes déjà, sans attendre la mort.
Passer de bas en haut par la force du Christ ressuscité, c’est passer du front soucieux penché sur la terre, d’une vie bornée par l’horizon terrestre et par la perspective de la mort, passer de cette vie-ci à un regard pascal.
Qu’est-ce qu’un regard pascal ?
Un regard pascal, ce n’est pas un regard béatement fixé sur le Ciel jusqu’à se désintéresser de la terre ; c’est plutôt un regard qui passe sans cesse de la terre au Ciel, de ce monde au Père. C’est un regard comme celui de saint Pierre dans la première lecture : « Là où [Jésus de Nazareth] passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. »
Je regarde l’humanité de Jésus de Nazareth, et je vois Dieu en lui. Je regarde les créatures et je vois leur Créateur. Je regarde les hommes et les femmes, leur vie, leur travail, leurs joies, leurs peines, et je vois celui à l’image de qui ils sont faits. Je regarde l’Église dans sa réalité concrète, avec ses côtés obscurs et ses côtés lumineux, et je vois le Saint Peuple de Dieu, l’Epouse Immaculée du Christ, le Temple de l’Esprit. Je regarde mon existence, avec ses ombres et ses lumières, avec les blessures du péché et les signes de la grâce, et je vois un chemin qui mène jusque dans le cœur de Dieu.
Bref ! le regard pascal lavé par l’eau du baptême voit ce qui est vraiment. C’est le regard du disciple bien-aimé : « Il vit » le tombeau vide, les linges posés à plat et le suaire roulé à sa place « et il crut » que le Seigneur était ressuscité des morts.
Le Christ ressuscité nous exhausse. Il nous fait passer du bas en haut. Il nous fait aussi passer de l’enfermement et de la peur au témoignage courageux. Juste après la mort du Seigneur Jésus, Pierre et les autres se tenaient reclus, enfermés dans la peur. Et voici que, dans la première lecture, nous retrouvons le même Pierre témoignant hardiment devant la maisonnée du centurion Corneille.
Descendu aux enfers, le Seigneur Jésus est aussi descendu dans nos enfer-mements. Combien d’hommes et de femmes sont enfermés en eux-mêmes, ruminant des rancoeurs et des regrets, tournant et retournant leurs amertumes, leurs souffrances, leurs tristesses et leurs craintes ? D’autres encore vivent perpétuellement à l’extérieur d’eux-mêmes, quémandant auprès des autres l’attention et l’amour qu’ils ne se donnent pas à eux-mêmes.
Le Christ ressuscité veut rouler les pierres tombales qui nous enferment. Sa lumière assume les ténèbres et les dissipe. Un homme profondément chrétien avait perdu son épouse encore jeune. Grâce au regard pascal, don du Christ ressuscité, il vivait déjà exhaussé. Il conservait la paix et la joie, car ses yeux n’étaient pas fixés vers l’arrière et vers le bas, sur celle qui l’avait laissé poursuivre seul le chemin, mais bien plutôt vers l’avant et vers le haut, sur celle qui l’attendait déjà auprès du Seigneur.
Frères et sœurs, soyons dans la joie et l’allégresse, car le Christ ressuscité nous a exhaussés ; il est descendu aux enfers et nous a déjà fait passer en Dieu. « Rendons grâce à Dieu le Père, qui nous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. Nous arrachant au pouvoir des ténèbres, il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé : en lui nous avons la rédemption, le pardon des péchés. » Amen. Alléluia !
Père Alexandre-Marie Valder