Bien mourir pour les débutants

Bien mourir pour les débutants

Bien mourir pour les débutants

Notre pays s’est donc engagé sur la voie du « droit à l’aide à mourir », expression qui est un double euphémisme. L’expression « aide à mourir » cache le mot « euthanasie » qui lui même signifie « bonne mort ». La notion de bonne mort appartient déjà au trésor de la sagesse chrétienne. Les chrétiens ne demandent pas l’euthanasie aux hommes ; par contre, nous prions le Seigneur de nous accorder une bonne mort. Avec vous, à partir de l’actualité et des lectures de ce dimanche, je voudrais méditer sur la notion de bonne mort et de bien mourir.

Au risque d’être provocant, disons que bien mourir n’est pas un droit de l’homme, mais un devoir pour toute personne. Bien mourir, cela se prépare, d’autant qu’on n’a pas de seconde chance, sauf si l’on s’appelle Lazare. Je vous propose trois mots-clés : humilité, espérance et simplicité.

 Humilité. Ces dernières semaines, nous avons entendu des extraits du livre de l’Apocalypse. Les visions de saint Jean sont difficiles à comprendre. Peut-être faut-il d’abord en retenir la leçon suivante : tout cela – le projet de Dieu pour l’humanité, la promesse du Ciel, le déchaînement des forces du mal et le triomphe final de Dieu – nous dépasse, et c’est normal. Seul le Seigneur qui tient toute chose en sa main peut dire : « Moi, je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin. »

Ainsi, ce serait illusion, folie et orgueil de me prendre pour l’alpha et l’oméga, de croire qu’il me faudra mourir en disant : « Tout est accompli. ». Non, tout n’a pas commencé avec moi et tout ne finira pas avec moi. Le P. Guy Gilbert le dit joliment : « Seigneur, apprends-moi à me reposer. Apprends-moi à laisser les choses en suspens, à ne pas vouloir régler toutes les affaires avant de dormir. Apprends-moi à accepter d’être fatigué. Apprends-moi à finir une journée. Autrement je ne saurai pas mourir… Car il reste encore du travail après moi ! Apprends-moi à accepter… De n’être pas Toi. »

Ma mort ne mettra pas un point final à l’histoire de l’humanité. Pourtant, bien mourir, c’est aussi se préparer à mettre un point final à mon histoire. Comme le disent les enseignants à la fin des devoirs surveillés : « Il est temps de relire et de conclure. »

Chaque soir, l’office des complies m’apprend à bien mourir. Je relis ma journée pour y discerner la présence de l’Esprit Saint et je rends grâce pour le bien dont j’ai été acteur, bénéficiaire ou simple témoin. « Seigneur, aujourd’hui tu as été à l’œuvre dans le monde, comme tu l’étais hier et le seras demain, comme tu l’étais avant moi et le seras après moi. Je te demande pardon pour mes résistances à ton action, pour mes péchés, toi qui n’es qu’amour et miséricorde. »

Puis la prière de l’Église met dans ma bouche les paroles du vieux Syméon : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole, car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples. » C’est le Seigneur, et lui seul, qui est le Maître souverain, lui qui m’a donné la vie aujourd’hui et me la redemandera un jour, comme il voudra, quand il voudra. « Je suis à toi, Seigneur, et me voici entre de bonnes mains. »

 Humilité et espérance. « Mes yeux ont vu le salut », chante le vieux Syméon. Bien que l’ensemble du dessein de Dieu me reste voilé, j’en ai vu les prémices dans ma vie et dans la vie des autres. Dans la Pâque du Christ, le salut est déjà donné en espérance. Lorsque je mourrai, je paraîtrai devant celui qui nous dit aujourd’hui : « J’apporte avec moi le salaire que je vais donner à chacun selon ce qu’il a fait. »

Bien sûr, chacun aura le grave devoir de rendre compte du mal qu’il aura commis. Mais entendons d’abord l’aspect positif : la récompense promise à ceux qui auront persévéré fidèlement. Nous espérons être de ce nombre, non pas d’abord par nos propres forces, mais par le don de l’Esprit Saint.

Je vis aujourd’hui dans l’espérance de vivre avec Dieu pour toujours. Cela m’aide à ne pas avoir peur de vivre ni de mourir. Baptisé dans le Christ, confirmé par le don de l’Esprit Saint, nourri de l’eucharistie, je suis de ceux dont le Seigneur Jésus parle dans l’Évangile : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire. »

La sagesse de l’Évangile nous fait aimer cette vie-ci, qui est toujours belle et précieuse et bénie de Dieu. Elle nous donne en même temps le désir ardent de la vie éternelle, du repos auprès du Seigneur. Chaque heure qui nous éloigne de notre jeunesse nous rapproche surtout de l’éternelle jeunesse de Dieu.

 Humilité, espérance et simplicité. « Heureux ceux qui lavent leurs vêtements : ils auront droit d’accès à l’arbre de la vie et, par les portes, ils entreront dans la ville. » Le vêtement peut être le symbole du paraître, de la relation à l’autre. Laver son vêtement, ce serait alors assainir ses relations. Après la mort, il sera trop tard pour se réconcilier avec nos frères et sœurs et avec Dieu notre Père.

Pour désigner les derniers instants avant la mort, on parle d’agonie, c’est-à-dire de combat. Ce combat, je le sais, est trop difficile pour moi. En tout simplicité, j’appelle à l’aide dès maintenant. Par le signe de la croix, fait et refait chaque jour, je m’habille de l’amour sauveur du Christ. Je recours aux sacrements du pardon et de l’eucharistie qui me préparent dès aujourd’hui à la rencontre avec le Seigneur. J’espère avoir la grâce, le moment venu, d’être consolé par l’onction des malades et le viatique. Sans me lasser, je prie saint Joseph, patron de la bonne mort, ainsi que la Vierge Marie, de m’assister « maintenant et à l’heure de notre mort. »

 Humilité de savoir que je ne suis pas le commencement et la fin de toute chose ; espérance et désir de la rencontre avec celui qui a prié pour nous tous la veille de sa mort ; simplicité d’appeler à l’aide pour bien mourir, à la grâce de Dieu. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder