Mes petits pas d’aujourd’hui

Mes petits pas d’aujourd’hui
Rien qu’aujourd’hui, je choisis de débuter ma journée en m’habillant du signe de la croix, de lire quelques lignes de l’Écriture Sainte, d’offrir à mon âme un temps de prière, de silence, de contemplation.
Rien qu’aujourd’hui, je choisis d’aimer mon époux, mon épouse, puisque le Seigneur nous a donnés l’un à l’autre afin que nous soyons heureux et saints ; je choisis de communiquer alors qu’il serait si confortable de me murer dans le silence et la bouderie.
Rien qu’aujourd’hui, je choisis la patience, la douceur, la fermeté pleine de tendresse, avec mon enfant colérique ou mon adolescent buté ; je choisis de croire et d’espérer que ce goutte-à-goutte d’amour vrai, même s’il paraît parfois dérisoire au quotidien, ne saurait pas rester sans résultat.
Rien qu’aujourd’hui, je choisis de retenir cette parole oiseuse, ce mot blessant, ce propos de médisance ; ces cancans, ces murmures, ces rumeurs ne passeront pas par moi ; je choisis de tourner et ciseler un compliment, une parole bienveillante, encourageante, valorisante.
Rien qu’aujourd’hui, je choisis de mettre de côté ce téléphone, ce jeu, cette série qui prend une place réservée à Dieu et à mes proches ; je choisis de sortir, de marcher, de voir des amis, plutôt que de laisser l’isolement m’entraîner vers des compensations que je regretterai ensuite : nourriture, boisson, pornographie.
Rien qu’aujourd’hui, je choisis d’aller visiter ma grand-mère malade, mon oncle grincheux, d’appeler mon ami déprimé ; je choisis d’honorer l’engagement que j’ai pris auprès des personnes dans le besoin.
Rien qu’aujourd’hui, je choisis d’écouter ce corps donné par Dieu et qui me dit : « Sors, marche, cours, respire, remplis tes yeux et tes oreilles de beauté » ; je choisis de m’octroyer un plaisir simple, par tendresse envers moi-même, ou bien au contraire je choisis un geste d’ascèse sans prétention afin de fortifier ma volonté.
Rien qu’aujourd’hui, je choisis de ne pas tout choisir, d’accepter d’être bousculé(e) par les circonstances et les imprévus, sûr(e) que c’est la main douce et bienveillante du Père qui conduit toute chose.
Rien qu’aujourd’hui, je choisis de regarder bien en face – oui, oui ! – tout ce qui cherche à me détourner d’une vie belle et bonne : l’ennui, la peur, le découragement, le désespoir ; tout cela, je le regarde et je choisis de mettre ma confiance dans le Seigneur, d’attendre tout de lui, de l’aimer et d’aimer mes frères et sœurs pour l’amour de Dieu, avec les forces qui me sont données aujourd’hui.
Prises individuellement, que sont ces actions, sinon de toutes petites graines de
moutarde ? Ajoutées les unes aux autres, mises en commun avec celles que chacun apporte, fécondées par l’Esprit Saint, ne peuvent-elles pas transformer le monde ?
« Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité. » La justice, l’ajustement à Dieu, à soi-même, aux autres et à la création, se construit par l’humble fidélité, petit pas par petit pas, un jour après l’autre. Ce chemin peut avoir lieu même au milieu de grandes adversités et contradictions.
Dans la première lecture, le prophète Habacuc contemple avec effroi l’invasion brutale de son pays par les Chaldéens venus de Babylone. Mal et violence, pillage et misère… Où es-tu, Seigneur ? Il choisit pourtant de se tenir à son poste, debout sur le rempart, vigilant, tout yeux et tout oreille dans l’attente du signe et de la parole venus du Seigneur (cf. Ha 2,1) : « Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité. »
Dans la deuxième lecture perce la plainte de Timothée confronté aux souffrances liées à l’annonce de l’Evangile, à la honte lorsque son témoignage en faveur du Seigneur n’est pas reçu, à la difficulté de garder intact le défaut de la foi sans chercher à l’édulcorer pour plaire. Là encore, par les mots de S. Paul, c’est le Seigneur lui-même qui exhorte Timothée à choisir la confiance et la fidélité.
Timothée, tout responsable de communauté qu’il soit, n’est qu’un simple serviteur. « De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.” » Que cette parole du Seigneur Jésus pacifie nos cœurs inquiets. Nous ne sommes pas des architectes, mais des maçons ; pas des généraux, mais des soldats. Un autre porte le poids de l’espace immense, des années et des siècles. À nous le soin et l’attention de cette simple portion de l’immense univers : mes petits pas d’aujourd’hui.
C’est la leçon de nombreux saints modernes. S. Jean XXIII écrivait : « Rien qu’aujourd’hui, j’essaierai de vivre exclusivement la journée sans tenter de résoudre le problème de toute ma vie. » Pensons aussi au poème de Ste Thérèse de Lisieux intitulé Mon chant d’aujourd’hui : « Que m’importe, Seigneur, si l’avenir est sombre ? / Te prier pour demain, oh non, je ne le puis !… / Conserve mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre / Rien que pour aujourd’hui. »
À l’aube de chaque jour, les chrétiens qui célèbrent la liturgie des heures prient avec le psaume 94, dont nous avons entendu quelques versets ce dimanche, comme pour redire notre attachement au Seigneur, notre volonté de le choisir, rien qu’aujourd’hui : « Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits. Oui, il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main. Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? »
Père Alexandre-Marie Valder