La joie des prophètes
La joie des prophètes
Ce n’est pas la joie…
Ce n’est pas la joie, au temps du prophète Isaïe, pour le peuple de Dieu exilé à Babylone. Le pays a été ravagé, Jérusalem saccagée, le Temple incendié, la population déportée. Un demi-siècle à prier et à pleurer pour demander au Seigneur de restaurer son héritage, de ramener son peuple sur sa terre, de redonner enfin la joie à Jérusalem. Est-ce en vain ?
Ce n’est pas la joie pour l’apôtre Jacques. Quelques années ont passé déjà depuis la résurrection. L’allégresse des premiers temps est retombée, et l’attente ardente du retour glorieux du Seigneur. On se remet à se chicaner, à se critiquer, à se juger les uns les autres. On s’autorise des concessions et des arrangements avec la pratique de la foi et les gens riches mettent à nouveau leur confiance dans l’argent. Il faut bien s’installer, puisque le Seigneur tarde à venir, s’il vient un jour.
Ce n’est pas la joie pour Jean le Baptiste emprisonné dans le palais du roi Hérode. Il est bien loin le temps où les foules affluaient pour venir recevoir le baptême dans le Jourdain en confessant leurs péchés, où lui, Jean, apostrophait les pharisiens et les sadducéens, où il annonçait la venue imminente du Christ qui allait baptiser dans l’Esprit Saint et le feu. En dépit des signes qu’il accomplit, Jésus tarde à établir son royaume. Es-tu celui qui dois venir ou devons-nous en attendre un autre ?
Ce n’est pas la joie pour les chrétiens d’aujourd’hui. Décennie après décennie, les églises continuent de se vider, les évêques, les prêtres, les diacres et les missionnaires laïcs de s’exténuer. Jour après jour, on s’en prend de plus en plus ouvertement, en actes et en paroles, aux peuples de la Première et de la Nouvelle Alliance. L’être humain, créé à l’image de Dieu, est toujours plus abîmé, avili, perverti et ne cesse de se détourner de sa destinée bienheureuse. « Jésus, avons-nous envie de crier, es-tu bien celui qui doit venir ? devons-nous en attendre un autre ? devons-nous cesser d’attendre et baisser les bras ? »
« Frères, nous dit S. Jacques, prenez pour modèles d’endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur. »
En premier lieu, le prophète Isaïe ose parler à son peuple exilé, découragé et abattu et lui adresser de la part du Seigneur une promesse de libération et de joie. Oui, ce temps d’exil ressemble à un temps de désert, de soif et d’aridité, mais réjouissez-vous néanmoins dès maintenant, car le Seigneur est proche. « On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu. Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent : “Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu – et il explique aussitôt en quoi consistent cette vengeance et cette revanche – Il vient lui-même et va vous sauver.” »
Nous avons aussi une leçon à recevoir de Jean le Baptiste, lui qui n’est pas un homme-roseau agité par le vent de l’opinion, mais un homme de Dieu « rempli d’Esprit Saint dès le ventre de sa mère (Lc 1,15) », lui dont Jésus dit qu’il est un prophète et bien plus qu’un prophète. Lui aussi, comme Isaïe, a apporté au peuple découragé par l’occupation romaine et la corruption des élites politiques et religieuses un message d’encouragement, de confiance et de joie. Lui aussi s’est réjoui de voir venir le Seigneur Jésus et de lui céder la place : « Moi, je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé devant lui. Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite (Jn 3,28-29). »
En dépit de cela, Jean le Baptiste, comme Elie, Jérémie, Jonas et bien d’autres avant lui, a connu les affres de l’inquiétude, de l’incompréhension et de la détresse. Du fond de sa prison, enchaîné, impuissant, épuisé, sans doute se demande-t-il s’il a donné tout cela en vain. Voici encore une leçon : même les plus grands, même les prophètes et les saints, ont passé par l’obscurité. C’est de là qu’il ont fait le choix de l’endurance et de la patience. La joie des prophètes est née dans les ténèbres.
Quelle valeur aurait l’endurance s’il n’y avait la fatigue ? Quelle valeur aurait la patience s’il n’y avait l’attente ? Quelle valeur aurait la foi s’il n’y avait l’épreuve? Quelle valeur aurait la joie si elle devait s’éteindre dès lors que surviennent peines et contrariétés ?
Nous croyons, en un seul Dieu, le Père tout-puissant, dont la puissance donne toute sa mesure dans la pauvreté et l’impuissance. Pauvreté et impuissance du néant à partir duquel, nous le croyons, tout fut créé. Pauvreté et impuissance du sein vide et vierge de Marie, de la crèche où, nous le croyons, naquit le Christ Sauveur. Pauvreté et impuissance du Crucifié suspendu au bois, du corps supplicié déposé dans le tombeau, qui, nous le croyons, donna la Vie au monde. Pauvreté et impuissance de la parole d’espérance proclamée, des sacrements de la foi célébrés, de nos mains vides, par lesquels, nous le croyons, le salut parvient à toute créature aujourd’hui.
Seigneur Jésus, Fils du Dieu vivant, Sauveur du monde, tu es celui qui es déjà venu en assumant l’humble condition de notre chair, pour accomplir l’éternel dessein de ton amour et nous ouvrir à jamais le chemin du salut. Tu viendras de nouveau, revêtu de ta gloire, afin que nous possédions dans la pleine lumière les biens que tu nous as promis et que nous attendons en veillant dans la foi.
Viens, Seigneur, faire fleurir nos déserts ; viens chasser douleur et peine ; viens nous donner l’allégresse et la joie. Toi qui vis et règnes avec le Père et le Saint-Esprit, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
Père Alexandre-Marie Valder