Témoins émerveillés d’un Dieu humain
Témoins émerveillés d’un Dieu humain
Voici le signe qui nous est donné en cette nuit de Noël : un nouveau-né, un petit bébé fragile, enveloppé de langes et couché dans une mangeoire ; une étable aménagée dans une grotte à l’écart de la salle commune ; autour de ce nouveau-né se tiennent un ouvrier juif et sa jeune épouse, quelques bergers pauvres et méprisés, un bœuf, un âne, quelques moutons, dans le silence de la nuit.
Unis par la foi chrétienne en la Nativité du Seigneur, nous le croyons et nous l’affirmons : ce nouveau-né couché dans la mangeoire, c’est le Christ, Celui qui a reçu l’onction sainte de la part de Dieu ; c’est le Seigneur, Celui-là même que le peuple d’Israël reconnaît comme son Dieu et le Dieu de l’univers, l’Unique, le trois fois Saint, dont la gloire emplit tout le ciel et la terre ; ce nouveau-né, ce petit d’homme, n’est rien de moins que Dieu.
Nul n’est forcé d’embrasser la foi chrétienne. Chacun est libre d’adhérer à l’une ou l’autre des grandes représentations du monde, qu’elles soient religieuses comme l’islam, ou quasi-religieuses, comme le marxisme d’autrefois et le progressisme d’aujourd’hui. Toutes apportent leurs propres réponses aux questions fondamentales, notamment : « Qui est Dieu ? » et : « Qu’est-ce qu’être humain ? », des réponses bien différentes de celles de la foi chrétienne.
Qui est Dieu ? À Noël, Dieu lui-même donne une réponse décisive à cette question. Dans l’enfant de la crèche, celui qui par nature est invisible s’est rendu visible en notre chair. Ne pensons pas que la crèche soit le lieu où Dieu se cache ; au contraire, c’est là, comme à la croix et à la messe, que Dieu se révèle, se dévoile. L’enfant de la crèche nous donne déjà à connaître qui est Dieu, de même que, devenu grand, il continuera à le révéler par ses paroles et par ses actes.
Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! Sur son épaule est le signe du pouvoir ; son nom est proclamé : « Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix. » Et le pouvoir s’étendra, et la paix sera sans fin pour le trône de David et pour son règne qu’il établira, qu’il affermira sur le droit et la justice dès maintenant et pour toujours. Il fera cela, l’amour jaloux du Seigneur de l’univers !
Notre Dieu trouve sa joie en nous. Nos joies et nos peines ne le laissent pas indifférent. Le Dieu auquel nous croyons a souci de l’humanité, il ne la délaisse pas, il va jusqu’à l’épouser, à partager sa propre vie, en devenant homme lui-même. Si Dieu peut devenir homme, c’est parce que Dieu n’est pas inhumain.
Ne sommes-nous pas habitués à l’image d’un dieu inhumain, celle d’autres grandes représentations du monde ? Ce n’est pas le Dieu auquel croient les chrétiens : ce dieu lointain, hautain, inaccessible et inconnaissable, qui fait descendre d’en-haut ses décrets sur les créatures soumises à son vouloir n’est pas notre Dieu ; pas plus qu’un dieu indifférent à notre existence, qui nous laisserait faire tout ce que nous voulons parce qu’il n’en aurait rien à faire, un dieu qui ne voudrait avoir aucune place dans notre cœur parce que nous n’aurions aucune place dans le sien. C’est cela, l’amour jaloux du Seigneur : un amour qui est à l’opposé de l’indifférence.
Si Dieu peut devenir homme, c’est parce que Dieu n’est pas inhumain. La foi d’Israël et de l’Église témoigne d’un Dieu qui aime d’un amour de préférence, d’un amour gratuit et inconditionnel que l’on appelle la miséricorde.
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. » Notre Dieu est humain, au sens que nous donnons à ce mot : il est sensible, bienfaisant et miséricordieux, et non froid, inflexible ou capricieux. Dieu est le Dieu du cœur humain, écrit Saint François de Sales (Traité de l’amour de Dieu I,15).
C’est parce que notre Dieu est ainsi que nous pouvons savoir ce qu’est un être humain selon le cœur de Dieu. Encore une fois, d’autres représentations du monde disent autre chose de l’homme.
Le Dieu fait homme, l’enfant de la crèche, nous parle d’un être humain pleinement incarné, avec ce que cela comporte de finitude et de limites ; il est enraciné dans une terre, dans un peuple, héritier d’une famille, d’une tradition. Cet humain-là, avec sa finitude et ses limites, n’est cependant pas indigne de Dieu ; il n’est pas cette erreur de la nature, ce parasite sans lequel la terre se porterait mieux ; il est une créature de Dieu, voulue et aimée par Dieu ; il est fait pour entrer en relation d’amour avec Dieu, avec ses frères et sœurs, avec lui-même, avec tout le créé, et s’accomplir lui-même par cet amour.
Laissé à ses seules forces, il en est cependant incapable. Sans le Dieu de la crèche, de la croix et de la messe ne subsistent que le joug que les forts font peser, la barre qui meurtrit l’épaule des faibles, le bâton du tyran, les bottes qui frappent le sol et les manteaux couverts de sang. Il a besoin de ce Sauveur dont nous fêtons la naissance. « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. » L’être humain a besoin que « le Dieu du cœur humain » vienne le rendre pleinement humain.
Voici donc l’homme : ni soumis, ni augmenté, ni animal, ni machine, ni individu isolé et déraciné, ni consommateur anonyme d’une humanité globale ; créature dont Dieu vient épouser la nature humaine afin de lui donner part à sa nature divine.
Certains trouveront absurde, intolérable et révoltant que Dieu se soit fait chair et sang, bébé impuissant sur la paille, ouvrier du bâtiment dans un petit village juif de l’immense Empire romain ; qu’il ait connu la faim, la fatigue et le froid, toutes les misères du monde, le rejet, la souffrance et finalement la mort des esclaves.
Cela a pourtant eu lieu en cette nuit de Noël. C’est cela qui nous rassemble. À l’instar des bergers, nous en sommes les témoins émerveillés.
Père Alexandre-Marie Valder