Appelés à la responsabilité

Appelés à la responsabilité
« Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel, qui s’appuie sur un être de chair, tandis que son cœur se détourne du Seigneur… Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance. » Le Seigneur notre Dieu ne sait que bénir, et non maudire. « Dieu ne peut que donner son amour », disait frère Roger de Taizé. Notre Dieu ne peut pas maudire. Il peut seulement avertir celui ou celle qui s’engage sur un chemin de malédiction : « Quel malheur pour vous » les riches, les repus, les rieurs !
Des chemins de malédiction, il en existe et beaucoup s’y engagent à leurs risques et périls. Par la bouche du prophète Jérémie, le Seigneur avertit que celui ou celle dont le cœur se détourne du Seigneur est en danger.
Les éducateurs d’enfants le savent : ce n’est pas parce qu’il est interdit de jouer avec le couteau, le briquet ou la prise électrique que ces choses sont dangereuses, mais bien l’inverse ; c’est parce que c’est dangereux que c’est interdit. Il en va de même avec le Seigneur. « Attention, nous dit-il : si tu mets ta foi en quelqu’un d’autre que moi, au point que ton cœur se détourne de moi, tu t’engages sur un chemin de souffrance et de malheur. »
Au contraire, « béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance. Il sera comme un arbre, planté près des eaux, qui pousse, vers le courant, ses racines. Il ne craint pas quand vient la chaleur : son feuillage reste vert. L’année de la sécheresse, il est sans inquiétude : il ne manque pas de porter du fruit. »
Les choses sont rarement aussi simples ; nous le savons bien et Jérémie le savait également. Il y a des hommes et des femmes dont le cœur se détourne ouvertement du Seigneur et à qui pourtant tout semble réussir. Inversement, il y a des personnes frappées par le malheur en dépit de leur foi dans le Seigneur. Pour le dire avec les mots de saint Paul : « si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. »
Il y a des chrétiens, plutôt évangéliques, pour affirmer que celui qui met sa foi en Jésus s’assure ainsi la réussite matérielle et la prospérité. La vie des prophètes, des apôtres, des martyrs et des saints de tous les temps nous montre au contraire qu’être chrétien, c’est suivre le Christ pauvre et crucifié, c’est porter sa croix et mourir avec lui. Être disciple d’un tel maître ne prémunit pas des épreuves de cette vie, bien au contraire. En effet, si le maître a été tant de fois pris aux tripes, saisi de compassion envers les pauvres et les malheureux, comment ses disciples ne garderaient-ils pas eux aussi un cœur tendre et vulnérable comme le sien ?
Réentendons les paroles de Paul : « si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. » Mettre sa foi dans le Seigneur, prier, participer à la messe, se convertir, servir Dieu et ses frères, cela n’a pas d’utilité immédiate. Comme toute personne, les chrétiens tombent malades, souffrent, perdent des êtres chers et meurent à leur tour.
Aujourd’hui, nous sommes éprouvés par la souffrance, et trop souvent nous sommes ceux qui font souffrir les autres. Nous osons cependant affirmer notre espérance certaine – c’est un pléonasme – d’être délivrés de tout mal par la miséricorde du Seigneur, d’être un jour et pour toujours « libérés de tout péché, à l’abri de toute épreuve », et que cette délivrance est déjà à l’œuvre en nous et dans la création tout entière.
Appuyés sur la parole du Seigneur, sur l’oracle de Jérémie, le psaume ou l’enseignement de Jésus lui-même, nous osons affirmer qu’en dépit des apparences, il n’est pas indifférent de mener sa vie en mettant sa confiance dans le Seigneur ou bien en suivant ce que le psaume appelle « le chemin des méchants ».
« Seul Dieu peut créer la justice, écrivait le pape Benoît XVI en 2007. Et la foi nous donne la certitude qu’Il le fait. L’image du Jugement final est en premier lieu non pas une image terrifiante, mais une image d’espérance […] c’est une image qui appelle à la responsabilité […]. » Et il poursuivait un peu plus loin : « [La grâce de Dieu] ne change pas le tort en droit. Ce n’est pas une éponge qui efface tout, de sorte que tout ce qui s’est fait sur la terre finisse par avoir toujours la même valeur […]. À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s’était passé. »
Sous le regard du Dieu de vérité, chacun paraîtra dans sa nudité, tel qu’il est vraiment, et non tel qu’il a pu paraître aux yeux des autres en raison de sa richesse, ou du nombre de ses followers.
La foi, l’espérance et la charité ne nous garantissent pas une vie plus facile. Elles sont pourtant essentielles dès aujourd’hui. C’est pourquoi le pape François peut inviter tous les catholiques à apporter au monde des signes d’espérance.
Dès aujourd’hui, nous confessons un Dieu qui se tient du côté des souffrants – et nous sommes tous un jour ou l’autre de ceux-là – ; un Dieu qui est capable de racheter les vies jugées sans valeur, un Dieu pour qui les pauvres, les affamés, les affligés, les accablés, les méprisés et les victimes comptent, un Dieu qui est capable d’offrir un avenir à ceux qui pensent ne plus en avoir.
Dès aujourd’hui, nous confessons un Dieu qui tend la main à ceux qui font souffrir les autres par ignorance, par paresse ou par méchanceté – et nous sommes aussi tous de ceux-là – ; un Dieu qui fait grâce aux coupables qui reconnaissent leurs fautes, qui pardonne aux pécheurs qui reviennent à lui.
Dès aujourd’hui, nous confessons un Dieu qui fera triompher la paix, la vie, la vérité, la justice, la réconciliation, la communion ; chaque fois que nous œuvrons un tant soit peu dans ce sens, nous œuvrons par lui, avec lui et en lui. À notre Dieu soit la gloire et la louange pour les siècles des siècles. Amen.
Père Alexandre-Marie Valder