Appelés près de lui pour voir comme lui
Appelés près de lui pour voir comme lui
Frères et sœurs, je voudrais méditer avec vous en partant de ce geste du Seigneur Jésus dans l’évangile. Des gens de chez lui le disent fou et des scribes de Jérusalem le disent possédé. Alors, « les appelant près de lui, Jésus leur dit en parabole, etc. » Nous voyons souvent le Seigneur Jésus débattre face à face avec des contradicteurs. Aujourd’hui, il appelle près de lui ceux à qui il veut expliquer qui il est et ce qu’il fait. On peut presque le voir faire le geste d’approcher, leur entourer les épaules, tendre le bras et dire : « Regardez et comprenez : “Comment Satan peut-il expulser Satan ?”, “Personne ne peut entrer dans la maison d’un homme fort et piller ses biens, s’il ne l’a d’abord ligoté.” »
Les contradicteurs de Jésus sont invités à adopter son point de vue, à regarder le monde avec ses yeux, à voir le monde comme Dieu lui-même le voit. Adopter le point de vue de Dieu, cela s’appelle tout simplement la foi. Seule la foi nous fait voir le monde tel que Dieu le voit, le monde tel qu’il est vraiment. Pour voir le monde comme Le Seigneur le voit, nous avons besoin de nous tenir tout près de lui.
Dans la première lecture, au contraire, il est question d’un homme et d’une femme qui se sont éloignés de Dieu, qui se sont cachés loin de lui. « Où es-tu ? » dit Dieu à Adam, comme pour bien insister sur le fait que l’homme et la femme qui jusque là se tenaient près de Dieu se sont soudain éloignés.
Nous connaissons bien ce récit : le serpent avait promis à l’homme et à la femme qu’en mangeant le fruit de l’arbre, leurs yeux s’ouvriraient, qu’ils connaîtraient le bien et le mal, qu’ils acquerraient davantage de lucidité sur tout ce que Dieu voulait leur cacher. En effet, « leurs yeux s’ouvrirent, et ils virent qu’ils étaient nus. »
Désormais, l’homme et la femme se voient nus et vulnérables sous le regard menaçant de Dieu. On peut dire que ce n’est pas parce qu’ils se voient ainsi qu’ils s’éloignent de Dieu, mais plutôt que, justement parce qu’ils se sont éloignés de Dieu, ils se voient nus et vulnérables.
Loin de Dieu, ils ne voient plus le monde avec ses yeux à lui. Ils ont bien plutôt adopté le point de vue de Satan. Dans la première lecture, le Seigneur Dieu embrasse d’un seul regard l’homme, la femme et le serpent, comme pour nous dire qu’ils se trouvent tous les trois côte-à-côte. En désobéissant à Dieu, l’homme et la femme se sont mis à voir le monde avec les yeux du serpent, de Satan.
Car c’est bien ainsi que Satan voit Dieu : comme un ennemi, une menace dont il faut se cacher. C’est bien ainsi que Satan voit l’homme et la femme : comme des vers, des petites choses nues, vulnérables, tremblantes et sans intérêt. Il y a une part de vérité dans ce mensonge, et c’est précisément ce qui en fait la force : Satan est vraiment cet homme fort dont parle Jésus, cet homme fort qui tient l’humanité en otage et contre lequel nous sommes entièrement démunis.
Seulement, nous le savons bien, nous le croyons, c’est notre foi : il ne s’agit là que d’une partie de l’histoire. Cet homme fort a rencontré plus infiniment que lui qui l’a ligoté. Chaque fois que le Seigneur Jésus expulse les démons, il proclame par la parole et par l’exemple sa victoire sur le mal. Chaque fois que, au cours du baptême, nous faisons l’exorcisme en demandant à Dieu d’arracher le futur baptisé au pouvoir des ténèbres, c’est cette même parole qui s’accomplit.
Bien entendu, tout cela reste caché à nos yeux de chair, et accessible seulement aux yeux de la foi, aux yeux qui adoptent le point de vue de Jésus en se tenant près de lui. À propos de la résurrection de Jésus et de la nôtre, S. Paul, dans la deuxième lecture, nous invite à aller au-delà des apparences : « Notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. »
Il y a ce qui saute aux yeux, ce qui fascine, ce qui capte notre attention : les apparences, les biens éphémères, les actualités catastrophistes, etc. ; il y a aussi, et d’abord, ce qui ne se voit pas, ce que nous croyons sur la parole de Jésus : le mal est plus fort que nous, mais Dieu est plus fort que le mal.
Achevons sur une considération pratique. Il n’est pas rare que des personnes s’accusent en confession de leurs difficultés avec la foi, de leur manque de foi. Je voudrais nous inviter à une distinction qui peut nous être utile.
Il y a d’une part notre foi, cette foi que nous recevons du Seigneur par la médiation de l’Église, c’est-à-dire des croyants qui nous ont aidés à adopter comme eux le point de vue de Dieu. Cette foi est notre bien le plus précieux. Il est important que nous demandions sans cesse au Seigneur de la fortifier.
De notre côté, à nous aussi de mettre en œuvre les moyens de développer notre foi. La prière quotidienne, la méditation de la Bible, la lecture d’articles ou de livres, les échanges en fraternité, la confession régulière et l’eucharistie hebdomadaire sont autant de moyens de rester près du Seigneur, d’épouser toujours plus son regard sur le monde et de grandir dans la foi.
À côté de la foi, il y a aussi ces croyances plus ou moins vraies, que nous avons héritées de notre famille, de notre culture, de nos blessures anciennes. L’un croira – de croyance, et non de foi – que Dieu est un patron exigeant qui nous demande des comptes, un autre que, au fond, on ne peut faire confiance à personne, un troisième enfin que personne ne peut vraiment le comprendre, etc.
Lorsque nos croyances entrent en conflit avec notre foi, c’est l’occasion pour nous de redire au Seigneur, humblement, pauvrement : « Seigneur, cette fausse croyance en moi m’empêche d’épouser pleinement ton regard sur le monde. Et pourtant Seigneur, je crois ; viens guérir mon cœur, appelle-moi près de toi, afin que je voie le monde, que je voie mes frères et sœurs, que je me voie moi-même, comme toi tu nous vois. » Soyons sûr que le Seigneur s’en réjouira à chaque fois et ne manquera pas de venir à notre secours.
Père Alexandre-Marie Valder