Ascèse et émerveillement
Ascèse et émerveillement
Frères et sœurs, je pense que vous avez remarqué que l’évangile d’aujourd’hui comporte deux parties bien différentes. La première tourne autour de la phrase : « Qui n’est pas contre nous est pour nous. » Jésus y invite ses disciples à ne pas tracer trop vite une limite entre « les nôtres » et « les autres ». Dans la suite, au contraire, Jésus se montre exigeant, et même intransigeant : la partie qui est occasion de chute pour le tout doit être retranchée sans arrière-pensée.
J’aborde ce deuxième point en premier. Si ta main, ton pied ou ton œil sont pour toi occasion de chute, retranche-les, car mieux vaut pour toi entrer sans eux dans la vie éternelle qu’avec eux dans la géhenne, c’est-à-dire la mort éternelle, l’enfer.
Le Seigneur Jésus refuse toute demi-mesure dans la lutte contre le mal, tout compromis avec le péché. De même, celui qui veut suivre Jésus doit entrer dans son regard, voir le monde avec ses yeux, et donc haïr le péché et en traquer impitoyablement les germes en soi.
L’effort contre le péché concerne d’abord ma propre vie. Toutefois, ceux qui exercent une autorité, les parents par exemple, peuvent avoir la responsabilité de mettre les autres en garde. C’est ce que fait saint Jacques dans la lecture, en avertissant ceux qui mettent leur confiance dans leurs richesses et qui vont jusqu’à exploiter les pauvres qu’ils font fausse route.
En règle générale, la lutte contre le mal est une affaire personnelle : je combats le péché dans ma vie. C’est le chemin exigeant mais si gratifiant de l’ascèse chrétienne : identifier mes combats prioritaires à la lumière de la parole de Dieu et prendre les moyens de redresser mes mauvais penchants, qu’il s’agisse de la colère, de la médisance, de l’orgueil, de la paresse, de la jalousie, de la négligence, des excès en tout genre, etc. C’est l’une des missions qui sont confiées à tout baptisé et confirmé, la mission royale de lutter contre le mal, comme Jésus.
Cette ascèse est l’étape préparatoire de toute vie chrétienne, analogue au désherbage d’un potager avec de le cultiver ou du lavage d’un mur avant de le peindre. C’est également un travail à reprendre sans cesse et où l’on peut constater, année après année, de réels progrès. Comme il est gratifiant de faire le point périodiquement et de réaliser que tel ou tel péché autrefois si envahissant est en train de disparaître de ma vie !
Dans quel esprit mener cette lutte ?
Par amour et avec confiance ; par amour pour Dieu qui se réjouit de nous voir rejeter le mal et choisir le bien, et par amour pour le prochain qui ne peut que retirer un bénéfice à notre conversion. Attention à ne pas exercer une ascèse centrée sur sa propre perfection ; elle pourrait tourner à l’orgueil.
Par amour et avec confiance ; avec confiance car nous avons reçu du Seigneur pouvoir et autorité sur les forces du mal. Cela ne veut pas dire que la lutte sera sans effort, qu’il n’y aura pas des chutes et des rechutes ; cela veut dire que c’est un autre qui combat en nous et pour nous et qui nous assure la victoire.
J’en reviens à la première partie de l’Évangile. Par le baptême et la confirmation, il nous est donné pouvoir pour lutter contre le mal ; le bien, par contre, est le domaine de Dieu. Vouloir mettre la main sur le bien qui se fait, ce serait vouloir mettre la main sur Dieu. C’est la leçon qu’ont apprise Josué et Jean. Dans le livre des Nombres, Josué s’indigne que l’esprit soit donné en-dehors du groupe des soixante-dix anciens, et dans l’Évangile de Marc, Jean s’indigne de voir des gens exorciser au nom de Jésus alors qu’ils n’appartiennent pas au groupe des disciples. « On prophétise dans le camp ! », s’affole Josué. « On chasse les démons en ton nom ! », s’alarme Jean.
Le Seigneur notre Dieu est en train d’agir en-dehors de notre périmètre d’action ? Et alors, tant que nous faisons notre part et que nous restons dans sa main. « Qui n’est pas contre nous est pour nous. » Moïse dans la première lecture, Jésus dans l’évangile, enseignent qu’il faut renoncer à tout maîtriser, à mettre la main sur l’action de Dieu. Autant le mal et le péché sont répétitifs, autant Dieu se montre créatif et surprenant dans le bien qu’il produit, y compris hors de nos cadres.
Etonnement et émerveillement. Nous qui travaillons pour le Seigneur, nous voyons cela souvent : des personnes surgissent pour demander le baptême ou le redécouvrir alors qu’elles étaient en-dehors de nos radars et qu’elles ne rentrent pas dans nos cases. Travailler pour le Seigneur, c’est aussi accepter de ne pas tout comprendre, de ne pas voir d’emblée l’ensemble du tableau. Il me semble que le Seigneur Jésus a voulu communier à notre condition humaine jusque là, jusqu’à être surpris et émerveillé de la foi du centurion et de la Syrophénicienne qui demandent la guérison de leur enfant, de la pauvre veuve qui dépose son aumône au Temple et de bien d’autres.
Que retenir de cela ?
En premier lieu, que tout disciple de Jésus est tenu à mener un dur combat contre les puissances des ténèbres. C’est la mission royale reçue au baptême. Toutefois, ce rude combat est adouci par ce qui le motive, l’amour de Dieu, de soi-même et de nos frères et sœurs. Le combat est aussi adouci parce qu’il se mène dans un climat de confiance : en combattant, nous prenons part à la victoire que le Seigneur a déjà remportée pour nous.
En second lieu, apprenons de Moïse et de Jésus à nous émerveiller du bien que le Seigneur notre Dieu produit autour de nous, même si cela nous déroute, même si cela bouleverse nos plans. Demandons la grâce de voir ce bien qui germe autour de nous et de l’encourager au nom de notre foi et de la mission reçue à notre baptême.
Gloire et louange au Seigneur par toutes ses œuvres. Amen.
Père Alexandre-Marie Valder,