Ce Roi qui est d’abord un Fils

Ce Roi qui est d’abord un Fils

Ce Roi qui est d’abord un Fils

Il n’y a jamais eu de temps où le Fils n’était pas, ce Fils que nous confessons pourtant « Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père. » Autrement dit : il n’y a jamais eu de moment où le Père, se trouvant trop seul, aurait décidé d’engendrer un Fils semblable à lui. De toute éternité, le Fils est, et pourtant il est Fils : de toujours à toujours, il est celui qui a son origine en un autre, le Père. Ainsi, avoir son origine en un autre, recevoir ce que l’on est d’un autre, n’est même pas indigne de Dieu.

Nous les humains faisons aussi cette expérience de recevoir des autres tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons. Aucun d’entre nous ne s’est fait lui-même, ne s’est nourri lui-même, ne s’est élevé lui-même, et aucun d’entre nous ne se mettra lui-même en terre.

Notre société occidentale croit pourtant dur comme fer au mythe de la non-dépendance. Nous nous révoltons contre tout ce qui nous rappelle que nous recevons notre vie de quelqu’un d’autre, comme si le vrai pouvoir, c’était de se sauver soi-même, de se déterminer soi-même, sans référence à la biologie, à l’histoire, à la culture, aux traditions, aux ancêtres, et surtout pas à Dieu. « Si tu es le roi, si tu es le Christ, sauve-toi toi-même ! crie-t-on à Jésus sur la croix. Si tu es vraiment puissant, montre que tu ne dépends de personne. »

La montée de l’islam et sa radicalisation peuvent légitimement nous inquiéter. Plus positivement, nous pouvons aussi y voir un signe des temps, une réaction de la nouvelle génération contre le mensonge d’une vie humaine sans référence à l’Autre, à Dieu. Bien entendu, cette réaction extrême n’est pas non plus exempte de dangers, puisqu’il s’agit d’abdiquer sa liberté et de se soumettre à une loi que l’on croit d’autant plus divine qu’elle est inhumaine. Jésus le Christ, notre Dieu, notre Seigneur, notre Roi, nous montre un autre chemin, une manière plus authentique d’être humain.

 Les lectures que nous recevons cette année en cette fête du Christ Roi de l’Univers nous dépeignent paradoxalement un roi qui est d’abord un fils, quelqu’un qui se réfère à un plus grand que lui (cf. Jean 14,28). Le Seigneur Jésus est Fils du Père, fils de l’homme, fils de Joseph, fils de David. Comme fils, il est aussi héritier de toute l’histoire juive, histoire humaine, qui l’a précédé. C’est ce que veulent signifier les généalogies de Jésus que retracent Matthieu et Luc.

Comme les tribus d’Israël l’avaient dit à David à Hébron, nous pouvons dire au Seigneur Jésus : « Vois ! Nous sommes de tes os et de ta chair. Tu es l’un de nous et tu marches à notre tête. Tu as vécu notre vie humaine en toute chose. Tu es tellement l’un de nous que tu as même connu la mort. Toi le premier-né, tu es entré le premier dans les ténèbres et l’ombre de la mort, dans la tristesse et la terreur, dans la souffrance et l’abandon, dans l’injustice et l’échec, dans tout ce que nous appelons mal et mort et que nous fuyons à tout prix. »

La résurrection du Seigneur, fondement de notre espérance, est d’abord un « se laisser faire » : le Fils mort, enseveli et descendu au séjour des morts, ne se sauve pas lui-même. Il se laisse sauver par le Père ; il accepte de recevoir à nouveau du Père la vie, la royauté, la plénitude. C’est en se reconnaissant pleinement Fils qu’il devient pleinement Seigneur et Roi. « C’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté. »

 Le Christ ressuscité des morts est « la tête du corps, la tête de l’Eglise », nous écrit saint Paul. Nous, l’Église, nous sommes cette partie de l’humanité qui, dès aujourd’hui, choisit de marcher à la suite du Fils, d’être des fils et des filles dans le Fils premier-né, des hommes et des femmes qui croient qu’il n’est pas déshonorant de recevoir d’autres personnes et de Dieu lui-même ce que nous avons et ce que nous sommes. Cela doit se voir aussi dans la manière dont nous vivons et cela se voit déjà dans la manière dont nous prions : « Notre Père… donne-nous… pardonne-nous. »

J’aime beaucoup rappeler que nous commençons la messe en demandant la prière de la Vierge Marie, des saints et de nos frères et sœurs. Nous ne sommes pas chrétiens tout seuls. Nous avons besoin les uns des autres pour suivre Jésus.

La parole que nous recevons ensuite, nous ne l’avons pas choisie. Elle vient parfois nous conforter et nous réconforter, parfois au contraire nous déranger et nous pousser à la conversion. Quoi qu’il en soit, elle est toujours un cadeau, un don de Dieu et c’est pourquoi nous répondons en disant : « Nous rendons grâce à Dieu… Louange à toi, Seigneur Jésus. » Ne nous contentons pas des lectures entendues à la messe : confrontons-nous quotidiennement à la parole.

« Tu es béni, Seigneur, Dieu de l’univers, nous avons reçu de ta bonté ce pain.. ce vin… » Même le pain et le vin qui vont être consacrés sont déjà un don de Dieu. Tout ce que tu as est un don de Dieu. Tu es un don de Dieu. Tu es un don de Dieu pour ton prochain qui est aussi un don de Dieu pour toi. C’est vrai à l’extrême dans le mariage. Le Fils premier-né lui-même est don de Dieu pour toi, pour ton prochain, pour l’Église et pour le monde : « Prenez… mangez… buvez… ceci est mon corps livré pour vous… ceci est mon sang versé pour vous. »

« Allez dans la paix du Christ… Nous rendons grâce à Dieu. » Même s’il n’est pas toujours facile de le vivre au quotidien, nous sommes des hommes et des femmes libres pour aimer. Par le baptême, nous avons déjà marché derrière le Christ notre Roi à travers l’ombre de la mort : « Rendez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. Nous arrachant au pouvoir des ténèbres, il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé : en lui nous avons la rédemption, le pardon des péchés. »

Père Alexandre-Marie Valder