Celui qui aime, c’est celui qui prie

Celui qui aime, c’est celui qui prie
Né à la fin du XIXe siècle, l’écrivain Ernest Psichari fut élevé dans l’athéisme hérité de son grand-père, le philosophe Ernest Renan, pourfendeur de la foi chrétienne. Psichari se lia néanmoins d’amitié avec le philosophe catholique Jacques Maritain.
Alors officier colonial en Afrique du Nord, Psichari reçut un jour de Maritain une image de la fameuse Vierge en pleurs de la Salette accompagnée de ces mots : « Nous avons prié pour toi du haut de la sainte montagne. Il me semble qu’elle pleure sur toi, cette Vierge si belle, et qu’elle te veut. Ne l’écouteras-tu point ? »
Parlant de lui-même, Psichari écrivait alors : « Il ne croyait nullement à la prière, et pourtant il lui semblait que celui-là l’aimait mieux que les autres, qui priait pour lui – que seul, celui-là l’aimait. Oui, celui-là était vraiment son frère. »
Frères et sœurs, c’est vraiment un acte qui procède de l’amour que de prier pour quelqu’un ; non pas juste dire une prière pour quelqu’un, mais intercéder, insister auprès du Seigneur, demander, chercher, frapper à la porte en faveur d’une personne, d’une famille, d’un pays, d’une intention qui nous tient à cœur.
C’est pourquoi la préparation de la prière universelle de nos messes est un authentique service et même un art. Ceux qui acceptent cette mission prennent, comme le disait le théologien suisse Karl Barth, « la Bible dans une main et le journal dans l’autre ». Ils s’interrogent : de quoi l’Église, le monde, les souffrants et la communauté locale ont-ils besoin ? comment guider en quelques mots la puissance d’intercession de l’assemblée, « Pour… afin que…, prions le Seigneur » ? comment être universel sans être vague (« prions pour que le monde soit plus tolérant et ouvert ») ? comment être précis sans être clivant (« prions pour que M. Tartempion, président du Parti Truc, perde les élections ») ?
Une fois la prière préparée, il est tout aussi important de soigner sa mise en œuvre ; que le lecteur annonce distinctement l’intention, que l’on laisse un temps de silence afin que chacun s’y associe, que l’assemblée chante le refrain en y mettant sa foi et son amour. Notre intercession commencée dans la prière universelle s’élargit ensuite et s’approfondit encore avec l’offrande de nos vies sur l’autel, la prière eucharistique et le Notre Père.
Frères et sœurs, pourquoi faisons-nous cela ? Pourquoi prions-nous ainsi ?
D’abord parce que nous sommes les disciples du Seigneur Jésus, qui ne cesse de prier pour tous les hommes. Plus encore, nous sommes unis à lui dans sa mort et sa résurrection, membres de son corps qui est l’Église. Consacrés par le baptême et la confirmation, nous sommes un peuple de prêtres, avec la mission sainte de prier et d’intercéder pour tous sans exception, pour nous-mêmes, pour nos prochains et nos lointains, pour nos amis et nos ennemis.
Abraham n’a pas prié pour Sodome et Gomorrhe pour le seul plaisir de barguigner avec Dieu. S’il a intercédé, c’est parce qu’il a eu pitié, qu’il a été saisi de compassion pour les habitants de ces villes. Il a aimé, c’est pourquoi il a prié. Rappelons-nous de l’intuition de Psichari apprenant que Maritain priait pour lui : « Il lui semblait que celui-là l’aimait mieux que les autres, qui priait pour lui. »
Nous prions parce que nous aimons, et aussi parce que nous croyons. Nous croyons à la puissance de la prière… mais y croyons-nous assez ?
Fort de toute son autorité divine, le Seigneur Jésus nous enjoint à la prière confiante et persévérante : « Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. »
L’Esprit Saint manifeste dans la vie des grands saints de nombreux exemples de la puissance de la prière, et de même dans la vie des humbles priants que nous sommes. Depuis deux mille ans, il continue de susciter des moines et des moniales qui se consacrent entièrement à la louange de la Trinité Sainte et à la prière pour le monde, convaincus que leurs prières ne sont jamais perdues, puisqu’elles sont adressées au Père qui aime tous les hommes et qui veut que tous soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (cf.1Tm 2,4).
À première vue, la prière d’Abraham pour Sodome et Gomorrhe s’est soldée par un échec… cuisant. Le feu est tombé du ciel et a anéanti ces villes corrompues. Et pourtant ce récit reste pour nous un modèle d’intercession.
Le Seigneur notre Dieu se laisse toucher par les prières. Mieux encore : il suscite chez ses serviteurs sa propre compassion, afin qu’ils prient et intercèdent. Par l’exemple d’Abraham, nous savons que le Seigneur était prêt à retenir son feu. Que se serait-il passé si l’on avait su alors à Sodome et Gomorrhe qu’Abraham, touché de compassion, priait pour ces villes ? Et si les habitants avaient prié ?
Depuis la Salette, Jacques Maritain a prié pour son ami Ernest Psichari et le lui a dit. Psichari raconte comment il est passé de cette prière faite pour lui par un autre à sa propre prière adressée au Père. Après un itinéraire de conversion, Psichari, tout en poursuivant sa carrière militaire, devint tertiaire dominicain. Il tomba pour la France lors des premiers affrontements de la Grande Guerre, avec au cou la croix de son baptême et au poignet le chapelet.
La prière de Maritain pour Psichari signifiait ce que signifie toute prière chrétienne authentique, : « Je suis ton frère, j’ai compassion de toi et je t’aime. Je ne prie pas pour que le feu du ciel t’épargne. Bien au contraire, je demande à notre Père que le feu véritable, l’Esprit Saint, s’abatte sur toi. Toutefois, je sais qu’il ne viendra que si toi-même le lui demandes. Alors dis-moi : as-tu compassion de toi-même ? Désires-tu pour toi-même le feu de l’Esprit Saint ? »
Père Alexandre-Marie Valder