Choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir

Choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir

« Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » Et elles sont nombreuses les paroles rudes, venant du Seigneur lui-même, des apôtres ou de ceux à qui sont confiés pouvoir et mission de transmettre l’Évangile et ses exigences : « celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle », « celui qui n’est pas avec moi est contre moi ; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse » , « celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi », « puisque l’Église se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes à l’égard de leur mari », « quiconque a de la haine contre son frère est un meurtrier, et vous savez que pas un meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui », et j’en passe.

Reconnaissons que, comme les disciples du Seigneur Jésus, nous pouvons être scandalisés, indignés, tentés de tourner le dos à ce Dieu qui ne nous brosse pas dans le sens du poil, ce Dieu dont les paroles sont si rudes.

Toutefois, posons-nous la question : qu’est-ce que serait un dieu qui dirait toujours ce que nous voulons entendre, qui ferait toujours ce que l’on attend de lui ? Ne serait-il pas une idole ? un dieu fait à notre image ? un dieu fabriqué pour nous servir ? Au contraire, le vrai Dieu, c’est nous qui sommes faits à son image, c’est nous qui choisissons de le servir et d’accomplir ainsi notre vocation d’hommes et de femmes.

 Dans la première lecture, il était justement question de servir le Seigneur. Une fois le peuple d’Israël installé en terre promise, Josué lui a adressé la parole : « S’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir : [les dieux de vos ancêtres ou bien les dieux de vos voisins]. Moi et les miens, nous voulons servir le Seigneur. »

Or, pour les auditeurs de Josué, le Seigneur n’est pas un dieu inconnu. Dans son long discours, Josué a rappelé que le Seigneur est le Dieu des pères qui a appelé et béni Abraham, Isaac et Jacob ; il est le Dieu fort qui a libéré Israël de l’esclavage en Egypte, qui maté Pharaon et ouvert les eaux de la Mer Rouge ; il est le Dieu fidèle qui a accompagné la longue marche au désert, qui a donné l’eau, les cailles et la manne.

Mais attention : le Seigneur est en même temps le Dieu saint qui ne tolère pas le mal ; il est le Dieu tout-puissant qui ne se laisse pas enfermer dans des cases, qui ne se laisse pas représenter sous la figure d’un veau d’or, qui ne se laisse même pas nommer n’importe comment ; il est le Dieu jaloux qui refuse catégoriquement que les humains se dégradent en s’attachant à autre chose qu’à lui seul. Le Dieu qui a ouvert la Mer Rouge et le Jourdain est aussi celui qui a fermé la terre promise et qui a laissé mourir au désert ceux qui avaient refusé de lui faire confiance. De tous ceux qui sont sortis d’Egypte, il ne reste que Josué lui-même et son ami Caleb. Voilà qui est le Seigneur, un Dieu semblable à un feu, tout aussi bienfaisant et dangereux.

Alors, demande Josué, qui voulez-vous servir ? Le Seigneur, le vrai Dieu qui agit avec puissance pour le salut mais ne s’en laisse pas compter, ou bien les idoles qui ne vous dérangeront pas mais qui ne vous sauveront pas non plus ? Voulez-vous un Dieu qui vous scandalisera par ses paroles rudes ou bien une idole muette et inerte ?

Serviteurs du Seigneur, nous le sommes par notre baptême, à l’exemple de Marie, la servante du Seigneur. Servir le Seigneur, cela consiste à lui rendre l’adoration qui lui est due, par la prière et la liturgie, et aussi à écouter et transmettre sa parole, et enfin à être ses yeux, son cœur, ses pieds, ses mains auprès de nos frères et sœurs, surtout les plus pauvres.

Lorsque je choisis de vivre en chrétien, de servir le Seigneur, tôt ou tard je bute sur lui, sur ses paroles, ses actes, ses commandements, ses exigences qui ne vont pas dans mon sens. La fidélité à la messe et à la prière, la nécessité de la conversion et de la confession, l’annonce de l’Évangile, le pardon sans mesure, le service du frère (oui, même celui-ci) : autant de fois où nous butons sur le vrai Dieu et ses exigences, autant d’occasions d’être indigné, scandalisé et de lui tourner le dos… ou au contraire de le rechoisir, comme le fait Josué dans la première lecture et Pierre dans l’Évangile.

 C’est la même chose que dans un couple, et saint Paul l’a bien compris dans la deuxième lecture : on n’est jamais déçu par le prince charmant ou la dame de ses pensées ; jamais ils ne nous indignent ni ne nous scandalisent ; ils vont toujours dans notre sens ; ils n’ont qu’un seul défaut, c’est qu’ils n’existent pas. Au contraire, dans une relation entre deux personnes réelles, les deux attitudes que décrit saint Paul dans la deuxième lecture me semblent toujours d’actualité, sauf qu’elles valent aussi bien pour l’homme que pour la femme.

D’une part la soumission, que je vous propose d’entendre comme cette admiration et cette confiance en l’autre lorsque je lui reconnais tel talent, telle compétence, telle maîtrise que je n’ai pas. Je peux alors le suivre, sans forcément bien comprendre, mais en le soutenant de mon mieux. C’est ce que fait l’Église à l’égard du Christ : elle le suit, le soutient, le sert, même lorsqu’il se montre déroutant.

D’autre part, la prévenance, ce regard de bienveillance et d’espérance que je porte sur l’autre, comme le Christ regarde l’Église. Je désire tout donner pour que l’autre soit à la hauteur de ce qu’il est profondément : il n’est pas encore saint, mais il peut le devenir. C’est ce que fait le Christ pour l’Église : il se donne pour elle afin de la rendre « resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel. »

L’époux et l’épouse, les amis, et même le pasteur et sa communauté sont ainsi invités à être l’un pour l’autre, tantôt le Christ et tantôt l’Église.

 Ne nous scandalisons pas des paroles rudes du Seigneur. Elles sont le signe que le Seigneur, le Dieu vivant, nous résiste justement parce qu’il n’est pas notre chose, notre idole. Gloire à lui qui vit et qui fait vivre et qui règne pour les siècles des siècles. Amen.

Alexandre-Marie Valder, prêtre