Du lièvre, de l’Agneau, et de quelques autres animaux
Le Royaume de Dieu est semblable à un lièvre qu’un chien a flairé, vu et pris en chasse[1]. Il le poursuit sans relâche, indifférent à la fatigue, indifférent aux difficultés, prêt à tout pour rejoindre le lièvre.
Toujours à la poursuite du lièvre, le chien passe le long d’un pré où paissent quelques vaches. Elles lèvent la tête, le regardent passer, haussent les épaules – si les vaches en ont – et retournent brouter. « Sont fous ces chiens. »
Toujours à la poursuite du lièvre, le chien passe au pied d’un arbre où un chat fait la sieste. Le chat se moque du chien. « Pourquoi tu cours comme ça après un bête lièvre ? Arrête-toi, repose-toi, profite de la vie. » Mais le chien passe sans faire attention à lui.
Toujours à la poursuite du lièvre, le chien passe près d’autres chiens. Ils n’ont pas vu le lièvre mais, en voyant courir le premier chien, ils se mettent à courir eux aussi. Ils courent, ils courent, ils courent. Et puis ils commencent à se fatiguer et à se demander : « Mais pourquoi est-ce que nous courons comme cela ? » Alors, l’un après l’autre, ils s’arrêtent, rebroussent chemin et retournent se coucher. Mais le premier chien, celui qui a vu le lièvre, continue de courir sans relâche.
Toujours à la poursuite du lièvre, le chien rencontre un groupe de passereaux posés sur une branche. Ceux-ci lui crient : « Laisse tomber, vieux. Tu n’y arriveras jamais. Si tu avais des ailes comme nous, tu pourrais rattraper ce lièvre. Pour toi, c’est perdu d’avance. » Mais le chien passe, sans faire attention à eux.
Toujours à la poursuite du lièvre, le chien traverse une meute de loups. Ceux-ci ont été dérangés par le passage du lièvre mais, plutôt que de courir après lui, ils préfèrent attaquer le chien. Celui-ci s’en sort de justesse, tout griffé et égratigné, toutefois il continue à poursuivre le lièvre.
Le prophète Jérémie, l’auteur du psaume et tous les authentiques chercheurs de Dieu sont semblables à ce chien. Ils ont rencontré le Seigneur et se sont élancés à sa suite, en faisant fi de l’apathie et des moqueries de leur entourage, en persévérant même quand tous les autres se découragent, même quand il leur faut faire face à l’insulte, à l’adversité et à la violence.
Le Royaume de Dieu est encore semblable à un fils qui se fraie un chemin à travers une foule compacte devant un grand magasin le premier jour des soldes. C’est la cohue, la bousculade. Chacun pousse de son côté mais personne ne va nulle part.
Alors le fils commence à appeler ceux qui sont là et à les inviter à la fête organisée par son père. Certains l’entendent, le croient et le suivent en se frayant un chemin dans la foule. Il y en a même qui se mettent à appeler eux aussi à la fête du père.
D’autres personnes dans la foule les regardent passer, indifférents. Tant mieux si certains s’en vont, cela fera plus de place pour les autres !
D’autres personnes encore se plaignent de ce petit groupe qui marche ensemble, à contre-courant : « Hé ! Ne poussez pas ! Où vous allez comme ça ? » Certains vont jusqu’à les repousser et les frapper. Parmi ceux qui suivent le fils, certains s’arrêtent, par crainte ou pour ne pas déranger, mais d’autres continuent d’avancer à contre-courant.
D’autres personnes encore essaient de les décourager : « Ne suivez pas ce type ! Le magasin va bientôt ouvrir. Vous allez manquer une bonne affaire ! Restez là ! » Parmi ceux qui suivent le fils, certains s’arrêtent et retournent attendre devant le magasin, mais d’autres continuent d’avancer à contre-courant.
Frères et sœurs, notre Dieu est amour, amour débordant, jaillissant. Notre Dieu est élan, il est mouvement et il met en mouvement. Rien de plus étranger à notre Dieu que l’apathie des vaches et du chat, que le découragement des chiens, que la méchanceté des oiseaux et des loups, que l’inertie de la foule.
Notre Dieu est mouvement et il met en mouvement. Le Père a envoyé son Fils dans le monde pour inviter les hommes et les femmes immobiles et fossilisés à la fête, pour attirer toute personne dans son élan d’amour vers son Père. Le péché, ce péché dont parle longuement Paul dans la deuxième lecture, c’est tout ce qui, en nous et autour de nous, freine, résiste à cet élan.
Nous qui sommes disciples de Jésus, nous sommes ce chien qui court sans se décourager, nous sommes ces hommes et ces femmes qui fendent la foule à la suite du fils. Le Fils lui-même qui nous dit : « Appelez sans relâche… la bonne nouvelle que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-la sur les toits… ne regardez pas les vaches, n’écoutez ni les chats ni les oiseaux, ne craignez pas les loups… ne regardez que moi, le lièvre… courez derrière moi. »
Mystère insondable du Oui total et inconditionnel du Seigneur à l’être humain. Le Seigneur invite chacun et chacune, appelle sans relâche, à temps et à contretemps, aussi bien ceux et celles qui l’écoutent que les autres.
Mystère du Oui du Seigneur qui se heurte au Non de l’être humain, d’Adam et Eve en chacun, à ses résistances, à son péché. Mystère du Oui du Seigneur qui va jusqu’à accepter que certains s’enferment pour toujours dans le Non éternel de la géhenne plutôt que de forcer leur liberté.
Mystère du Oui du Seigneur qui finit si souvent par l’emporter sur le Non de l’homme. La revanche que le Seigneur inflige à ses ennemis, c’est lorsque son Oui triomphe de leur Non. C’est ce qui s’est passé pour Pierre, Paul, pour tant d’hommes et de femmes qui, au long des âges, se sont déclarés pour lui devant les hommes.
Que le Seigneur nous donne un cœur de longue haleine pour courir à sa suite jusqu’à la salle du banquet des noces de l’Agneau.
[1]Librement inspiré d’un apophtegme des pères du désert.
père Alexandre-Marie Valder