Exclure et être purifié

Exclure et être purifié

« Le lépreux habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp. »

Les Juifs de l’époque de Jésus excluaient ceux qui étaient supposés porteurs d’une impureté car ils auraient empêché le reste du peuple de célébrer le culte du Seigneur dans le Temple.

Aujourd’hui, la société à laquelle nous appartenons pour le meilleur et pour le pire exclut ceux dont l’existence même proclame la fragilité et la vulnérabilité de tout humain, le besoin que nous avons les uns des autres ; et si nous les excluons, ce n’est pas pour pouvoir célébrer le Seigneur, mais pour profiter de la vie sans contrainte. On estime à cinq cent mille le nombre de personnes âgées en état de mort sociale, à plus de deux millions le nombre de celles dont les rapports sociaux sont fortement réduits. Et cela ne concerne pas que les personnes âgées. Autant dire que nous sommes mal placés pour juger la société dans laquelle vivait Jésus.

Dis-moi qui tu exclus, je te dirai qui tu es.

Il me semble que les Évangiles ne nous montrent jamais Jésus excluant formellement quelqu’un de son entourage. Toutefois, à travers les paraboles, il se montre extrêmement sévère envers certaines catégories de personnes : les satisfaits, comme les invités qui dédaignent de venir à la noce du fils du roi, les ingrats, comme les vignerons qui refusent de verser le produit de la vigne, ceux qui refusent de pardonner, comme cet homme qui étrangle son compagnon pour l’obliger à lui rembourser sa dette, ceux qui mettent leur sécurité dans l’argent, comme cet homme riche qui avait construit des greniers pour y entreposer sa récolte.

Dans l’Évangile, ce sont davantage des attitudes que des personnes qui sont condamnées : il n’empêche que tout n’a pas sa place dans le Royaume. Saint Paul écrit aux Galates : « Inconduite, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme, envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre. Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait : ceux qui commettent de telles actions ne recevront pas en héritage le royaume de Dieu », et dans l’Apocalypse, c’est Jésus lui-même qui prononce ces mots : « Dehors les chiens, les sorciers, les débauchés, les meurtriers, les idolâtres, et tous ceux qui aiment et pratiquent le mensonge ! »

Dis-moi qui tu exclus, je te dirai qui tu es.

En dépit de la rhétorique à deux sous qui tourne en boucle sur nos plateaux de télévision, exclure n’est donc pas mauvais en soi. Quel jardinier se refuse à exclure les limaces de son potager ? Les parents se refusent-ils à exclure les paroles blessantes autour de la table familiale, et éventuellement à mettre à l’écart pour un temps l’enfant qui dépasse les bornes ? Le lépreux de l’Évangile ne se réjouit-il pas que la maladie soit exclue de sa vie ?

Le psaume d’aujourd’hui nous le fait bien comprendre : la lèpre est une image du péché, et c’est bien cela qui me sépare de Dieu. Et moi, à l’approche de ce carême, quelle est la lèpre qu’il me faut exclure de ma vie afin d’être plus fidèle à ma vocation à la sainteté ? À moi de travailler à exclure ce qui gâte ma vie, à Jésus d’effectuer l’œuvre de purification.

Dimanche dernier, j’avais insisté sur ces nombreux anonymes qui, dans l’entourage de Jésus, se font serviteurs de la rencontre entre Jésus et ceux qui ont besoin de lui. Aujourd’hui, la situation est toute différente : nous avons un homme, le lépreux, seul devant son Dieu. Cet homme, c’est moi, c’est chacun de nous : il vient toujours un moment dans notre vie où il nous faut choisir de nous tenir seuls devant celui qui est notre Seigneur et notre Dieu.

Je peux avoir reçu une bonne éducation chrétienne, appartenir à une paroisse dynamique, être accompagné par de bons prêtres, avoir suivi une retraite de carême très inspirante, au final personne ne peut se convertir à ma place. Rien ne remplace la démarche personnelle de venir à Jésus, de reprendre une vie de prière régulière, même modeste, de lire la Bible, de lutter contre tel péché que j’ai remarqué en moi, de prendre tel engagement concret au service des autres, de retrouver le chemin du sacrement du pardon et de la messe.

Qu’est-ce qui a amené ce lépreux à Jésus ? Voulait-il seulement être guéri ? ne plus sentir peser le regard des autres sur lui ? Ou bien y avait-il quelque chose de plus profond, un désir véritable de changer de vie, de retrouver la communion avec Dieu ? L’Évangile nous dit qu’il vient auprès de Jésus, le supplie et tombe à ses genoux. Et nous, nous arrive-t-il, dans le secret d’une église vide, dans le secret de nos maisons, dans le secret de nos cœurs, de venir à Jésus, de le supplier et de tomber à ses genoux ?

« Je le veux, dit Jésus. Sois purifié. » Notre Dieu nous veut purifiés. Soyons-en convaincus. Mais n’allons surtout pas nous faire une image désincarnée de la pureté, comme s’il nous fallait devenir des anges. Être pur, avoir le cœur pur, c’est avant tout n’être pas mélangé, n’être pas partagé, être tout entiers ce que nous sommes : des hommes, des femmes, des enfants de Dieu.

Être chrétien est un emploi à plein temps. Nous ne partageons pas notre vie entre le Seigneur et le reste. Jour après jour, nous apprenons à vivre chaque instant en présence du Seigneur, à tourner vers lui toute activité, toute joie, toute épreuve. « Tout ce que vous faites, nous disait saint Paul à l’instant : manger, boire, ou toute autre action, faites-le pour la gloire de Dieu. »

Que le carême tout proche nous permette d’exclure de notre vie le péché qui nous ronge, nous abîme et nous sépare de nos frères et sœurs, afin que Dieu, lui, ne soit exclu d’aucun moment de nos journées. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder