Homélie du 24 décembre 2020
Noël nous remplit de tant de joie et d’allégresse que nous célébrons chaque année cette fête avec plus d’attention que nul autre événement. Par sa naissance, le Seigneur renverse la relation du créateur et de la créature. C’est un instant de bonheur et un temps de partage. Plusieurs voient Noël comme une fête de famille, une fête avec de la chaleur humaine. C’est vrai qu’il a y plusieurs sens que l’on peut donner à cette fête.
Comme étranger, je vois qu’en France, Noël est un Noël culturel qui s’enracine dans les traditions françaises : les repas avec le foie gras, la dinde, le pain d’épices que nous mangeons, les discussions animées que nous avons, la crèche sous l’arbre de Noël, le partage des cadeaux et les villes décorées avec les lumières. Cette fête est célébrée en France par les chrétiens, les non pratiquants et les non chrétiens mais nous voyons que cette fête apporte parmi nous la paix, la joie et la charité, la fraternité et l’amitié. Je voudrais vous partager comment nous célébrons Noël dans mon pays et quel sens nous donnons à cette fête.
Je suis indien. Je viens d’un pays où il y a plusieurs religions et où les chrétiens ne sont pas nombreux. Quand j’étais petit, j’attendais cette fête pour avoir un nouveau vêtement parce que chez nous on a le droit d’avoir un vêtement neuf pour Noël. Au niveau du village ou de la paroisse, on partage d’abord des saris aux veuves et personnes âgées qui sont démunies, on partage le repas avec les gens des autres religions ; à partir du premier soir de décembre, on entre dans chaque maison pour la prière (des maisons de castes différentes).
Comme notre Église est jeune et que notre pays est en voie de développement, nous célébrons la fête en lui donnant trois sens : la charité, l’inclusion et le courage.
Nous voyons dans cet Évangile : « elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire ».
Le seul détail que saint Luc se permet, c’est l’objet dans lequel est déposé l’enfant Jésus : une mangeoire. Et s’il apporte cette précision, c’est certainement qu’elle a son importance. D’ailleurs, quand l’ange apparaît aux bergers, ce même détail leur est fourni : « Vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Luc 2, 12). Qu’est-ce que cette mangeoire peut bien avoir de si important ?
La mangeoire nous présente donc Jésus à manger ; elle annonce ainsi l’Eucharistie. Plus tard, le Christ enseignera à ses disciples, déconcertés : « Mon corps est une vraie nourriture et mon sang est une vraie boisson » (Jean 6, 55). Jésus est la nourriture spirituelle et corporelle. Il se donne aux autres. La nourriture est destinée à quelqu’un, elle n’est pas pour soi-même. Cette nourriture nous invite à devenir comme lui et à partager.
Comme à Bethléem, la « maison-du-pain », l’Église ne cesse d’engendrer le Christ au monde ; l’Autel accueille le corps du Sauveur qui vient reposer parmi nous, nourrir nos âmes et fortifier nos corps.
La fête de Noël est alors nécessairement une fête où il faut être attentif à ceux qui ont besoin d’être nourris ; et si nos tables de fêtes sont trop garnies au point de gâcher alors que d’autres n’ont rien à manger, nous aurons certainement à l’assumer un jour devant le Seigneur.
Je me souviens d’une rencontre avec une dame, veuve, quand j’étais en stage pendant ma formation à l’évêché. J’étais en train de distribuer du riz, des lentilles, des nouveaux vêtements en vue de la fête de Noël. Elle m’a approché et demandé : « Frère Arun, pourquoi Jésus n’est-il venu qu’une seule fois dans le monde ? S’il avait pu naître tous les mois, je pourrais manger tous les mois. » Cette fête nous invite à faire attention à nos frères et sœurs qui connaissent des difficultés, par exemple le chômage et la pauvreté.
Le deuxième passage est « il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et leur dit : je vous annonce une bonne nouvelle, vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. »
Voilà, les premiers qui ont entendu cette bonne nouvelle, ce sont les bergers. Ils passaient la nuit dans les champs à garder leurs troupeaux. C’étaient des pauvres gens qui vivaient comme ils pouvaient avec de petits moyens. Et surtout, ils vivaient en marge de la société. Ils ne participaient pas au culte. Aux yeux des grands de ce monde, ils ne comptaient pas. Or, voici que l’ange du Seigneur vient leur annoncer cette bonne nouvelle. Dès le départ, l’Évangile, c’est la bonne nouvelle annoncée aux petits, aux pauvres et aux exclus. Inviter et inclure sont deux buts de cette naissance. C’est de cela que nous avons à témoigner dans le monde d’aujourd’hui.
Notre pape François, dans son homélie, dit : « Vraiment la « grande joie » annoncée cette nuit aux bergers est « pour tout le peuple ». Parmi ces bergers, qui n’étaient certes pas des saints, nous y sommes aussi, avec nos fragilités et faiblesses. Comme il les a appelés, Dieu nous appelle aussi, parce qu’il nous aime. Et, dans les nuits de la vie, à nous comme à eux il dit : « Ne craignez pas » (Lc 2, 10). Courage, ne perds pas confiance, ne perds pas l’espérance, ne pense pas qu’aimer est du temps perdu ! Cette nuit, l’amour a vaincu la crainte, une espérance nouvelle est apparue, Ô Humanité, Dieu t’aime et pour toi il s’est fait homme, tu n’es plus seule ! » Courage !
La priorité de Noël, surtout cette année qui est très particulière, ce sont les pauvres, les exclus, les gens qui connaissent la solitude, les gens en souffrance spirituelle et relationnelle. Comme autrefois, la bonne nouvelle de Noël doit être annoncée à ceux et celles qui vivent dans la misère : ils n’ont plus de quoi se nourrir, se vêtir ou se chauffer. Beaucoup se retrouvent à la rue. D’autres vivent dans des pays en guerre. L’Évangile nous dit aujourd’hui qu’il est impossible de fêter Noël sans eux. Si nous voulons rencontrer le Christ, c’est vers eux qu’il nous faut aller. Il est présent dans celui qui a faim et froid, celui qui est malade et seul, celui qui est prisonnier, celui qui a perdu ou oublié sa dignité humaine, celui qui est en deuil et fragile.
Vivre Noël, c’est accueillir le Christ dans la personne du pauvre et lui donner la place d’honneur.
Noël, c’est Jésus qui nous invite à travailler ensemble à la construction d’un monde plus fraternel, un monde solidaire, un monde d’amour et un monde d’inclusion.
Amen.
Arun Kumar Christuraj, prêtre