Imitateurs et interprètes de Dieu

Imitateurs et interprètes de Dieu

Imitateurs et interprètes de Dieu

En cette période olympique, saint Paul nous lance un défi comparé auquel toutes les épreuves sportives apparaissent comme une promenade de santé. Je relis le passage incriminé : « Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. » « Imitez Dieu » : ben voyons ! Et puis quoi encore ?

Et pourtant, frères et sœurs, nous avons bien entendu. Cette petite phrase de saint Paul est de celles qui nous titillent et nous empêchent d’oublier qu’être chrétien, ce n’est pas n’importe quoi, que le baptême nous a consacrés pour une vocation absolument extraordinaire : chercher à imiter Dieu.

Chrétiens, disciples du Seigneur Jésus-Christ, nous sommes appelés à vivre à la manière de Dieu dès aujourd’hui et pour toujours. Il y a quelques jours, nous avons célébré la fête de la Transfiguration : dans le corps du Christ  resplendit la lumière de la gloire de Dieu, annonçant ce qui s’accomplira dans le corps du Christ que nous formons, l’Église. C’est déjà réalisé pour la Vierge Marie, la première en chemin, déjà élevée et glorifiée auprès de Dieu en son âme et en son corps, comme le seront un jour tous les fidèles du Christ. C’est ce que nous allons célébrer très bientôt à l’Assomption.

Cependant, nous ne sommes pas au bout de nos étonnements avec les lectures d’aujourd’hui. La liturgie fait un parallèle entre l’histoire du prophète Elie et le discours de Jésus, pain vivant. Comme le prophète Elie marche à travers le désert vers l’Horeb, la montagne de Dieu, de même le chrétien marche à travers les années de sa vie vers le Ciel où l’attend le Père. Comme Elie ne peut pas avancer sans être fortifié par la nourriture apportée par l’ange, de même le chrétien ne peut pas parvenir à destination sans le pain de la vie qui est descendu du ciel : Jésus lui-même. « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. »

Chercher à imiter Dieu, manger pour avoir la force de marcher à travers le désert : autant dire que la vie humaine, et la vie chrétienne en particulier, est une tâche. Or, beaucoup, y compris parmi les baptisés, ont une idée un peu étrange de la vie humaine. Ils vivent comme si notre vie d’ici n’avait pas d’importance, comme si elle n’était pas une préparation à la vie éternelle. Ils vivent comme si l’âme, prisonnière  du corps, n’attendait que la mort pour s’élever toute seule vers Dieu, comme un ballon d’hélium dont on coupe la ficelle.

Au contraire, si le Seigneur nous donne la nourriture pour la route, c’est bien que cette route requiert un certain effort, comme toutes les belles choses qui ont du prix. Encore faut-il que, comme Elie est attiré vers l’Horeb, la montagne de Dieu, le chrétien soit attiré vers le Père. « Personne ne peut venir à moi, dit Jésus, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. »

Et toi, es-tu attiré(e) par le Père ? As-tu le désir de parcourir le chemin de la vie à sa recherche, de le voir enfin, de te jeter dans ses bras dans l’éternelle rencontre du ciel ? Alors viens au Fils qu’il a envoyé afin qu’il t’instruise : « Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. » Et Jésus instruit d’abord par l’exemple de sa vie.

Le théologien suisse Hans Urs von Balthasar, homme de lettres et de théâtre, écrit que Jésus est l’interprète du Père, comme on interprète une partition. Le regarder, l’écouter, le fréquenter, c’est apprendre de lui comment imiter Dieu, puisque c’est bien cela qui nous est demandé. De Jésus, le Fils premier-né, le Fils bien-aimé, nous apprenons ce que c’est que de vivre comme les enfants bien-aimés du Père.

Mieux encore : alors que l’élève assimile la leçon du maître, il nous est donné d’assimiler le maître lui-même. « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » La communauté chrétienne, aussi modeste et pauvre soit-elle, est le lieu où le monde commence à assimiler Dieu et Dieu à donner la vie au monde.

Celui qui accomplit cela en nous, c’est l’Esprit Saint.

Attirés par le Père et instruits par le Fils, nous recevons Celui qui est l’Esprit du Père et du Fils. Comme le dit saint Paul, l’Esprit nous a marqués de son sceau lors de notre baptême et de notre confirmation. Au plus intime de son âme, le chrétien est frappé de cette inscription : « Enfant bien-aimé du Père, consacré au Seigneur, réservé en vue du jour de la délivrance. »

Le même théologien suisse déjà évoqué parle aussi de l’Esprit Saint comme de l’interprète de Jésus. Même l’esprit humain serait trop étroit pour s’assimiler à Dieu si Dieu lui-même n’intervenait pas comme de l’intérieur. C’est l’Esprit Saint, c’est-à-dire Dieu lui-même, qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (Rm 8,16). « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie « Abba ! », c’est-à-dire : Père (Ga 4,6) ! » Sans l’Esprit Saint, on peut dire des choses justes sur Jésus, mais on ne parvient pas à saisir de l’intérieur qui il est vraiment, si bien que saint Paul va jusqu’à écrire que « personne n’est capable de dire : “Jésus est Seigneur” sinon dans l’Esprit Saint (1Co 12,3). »

Si l’Esprit Saint est l’interprète de Jésus, c’est nous qui sommes ses instruments, son orchestre. « Amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes… ainsi que toute espèce de méchanceté », rien de cela ne convient à ceux et celles qui sont marqués du sceau de l’Esprit Saint. Il s’agit donc de se défaire des raideurs de notre caractère afin d’être de plus en plus souples sous l’action de l’Esprit.

Frères et sœurs, laissons-nous attirer par le Père, instruire par le Fils et conduire par l’Esprit Saint. Que chacun vive dans l’amour qu’est Dieu, à lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder