La soif de Dieu

La soif de Dieu

Frères et sœurs, il y a deux semaines, nous entendions le récit de l’homme et de la femme trompés par le serpent. Aujourd’hui, à Massa et Mériba, c’est toujours la même histoire : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? Le Seigneur veut-il bien vraiment notre bien, oui ou non ? »

Ce n’est pas juste une histoire du passé. Massa et Mériba, l’Epreuve et la Querelle, sont d’abord en moi chaque fois que je doute que le Seigneur soit avec moi, qu’il me veuille du bien, qu’il m’aime vraiment. Il est alors tout indiqué de faire mémoire des bienfaits de Dieu. Si le Seigneur a agi avec puissance pour arracher son peuple de l’esclavage en Egypte, ce n’est pas pour l’abandonner en cours de route. Fais mémoire des merveilles que le Seigneur a faites pour toi hier. Elles sont le signe de son amour éternel et une ferme raison d’espérer pour demain.

Mieux encore : si le Seigneur m’a appelé un jour à devenir son enfant par le baptême, ce n’est pas pour m’abandonner en cours de route sans me donner les moyens de parvenir jusqu’au Ciel. Paul nous le rappelle : Dieu a livré son Fils pour nous alors que nous étions pécheurs et incapables de le connaître et de l’aimer. À présent que nous sommes devenus ses fils et ses filles par le baptême, que nous sommes disciples de Jésus, que l’Esprit Saint habite en nous, comment pourrait-il nous abandonner ?

Paul, j’en suis convaincu, ne s’adresse pas à nous d’au-dessus, comme pour nous dire : « Pfff… alors comme ça, vous en êtes ENCORE à douter de la bonté de Dieu ? Mais qu’est-ce qu’on va faire de vous ? » Il raconte lui-même dans ses lettres combien il porte avec peine le souci du salut d’Israël (Rm 9,1) et de toutes les Églises (2Co 11,28).

Paul s’est beaucoup inquiété du salut des Juifs et des païens, tant il avait le désir que tous croient en Jésus et qu’ainsi ils aient la vie. N’est-ce pas cette même inquiétude qui nous habite, nous les prêtres, mais aussi les agents pastoraux et les catéchistes, les parents et les grands-parents ? « Seigneur, regarde notre pays et notre Église ; regarde nos voisins et nos amis qui ne te connaissent pas ; regarde nos enfants et nos petits-enfants : nous as-tu conduits jusqu’en 2023 pour nous laisser tomber maintenant ? Es-tu au milieu de nous, oui ou non ? »

L’Évangile nous apporte une réponse surprenante. La première lecture mettait en scène le peuple qui traverse le désert, qui souffre de la soif et qui crie vers Dieu. Mais dans l’Évangile, c’est Jésus qui souffre de la fatigue et de la soif en traversant un désert spirituel.

Car la Samarie est vraiment un désert spirituel aux yeux des Juifs. Bien que ce soit la route la plus directe entre la Galilée et la Judée, les Juifs préfèrent généralement  contourner ce pays. Les Samaritains sont des descendants des patriarches. Aujourd’hui encore au XXIe siècle, ils observent la loi de Moïse et célèbrent la Pâque. Pour les Juifs cependant, les Samaritains sont des hérétiques : ils prient sur le mont Garizim et non au Temple de Jérusalem, ils se sont séparés de la dynastie de David, ils n’ont pas connu l’épreuve purificatrice de l’Exil à Babylone et ils se sont mélangés avec les païens. Pour les disciples de Jésus, il n’y a rien de bon à tirer de ces gens-là. Ils n’imaginent même pas qu’on puisse offrir l’hospitalité à Jésus. S’ils veulent manger, il va falloir aller en ville acheter de la nourriture.

Ajoutons que la femme dont il est question, qui s’en va au puits à l’heure la plus chaude de la journée pour être certaine de ne rencontrer personne, est elle-même mise au rebut par les autres Samaritains.

Nous avons sans doute tous nos Samaritains, dont nous n’espérons pas grand-chose. Ils ne sont pas méchants, non, mais on n’espère pas qu’ils croient un jour en Jésus et ruissellent de l’amour de Dieu : ce voisin qui ne partage pas ma foi ou mes convictions politiques, mes enfants, mes petits-enfants… mon mari, ma femme… moi-même parfois.

Ce que nous pouvons désirer de mieux pour nous et nos proches, ce que Paul désirait pour tous les chrétiens, pour les juifs et les païens, c’est qu’ils aient foi en Jésus et qu’en croyant, ils aient la vie. C’est avant tout de foi que Jésus a soif ; il a soif de présenter à son Père des adorateurs en esprit et en vérité.

Comme Moïse, sous les yeux des anciens du peuple, avait frappé de son bâton le rocher, de même Jésus, sous les yeux des disciples, frappe de sa parole la Samaritaine et ses compatriotes, et l’eau de la foi a jailli dans le désert.

De l’Évangile d’aujourd’hui, retenons deux leçons :

La Samaritaine ne refuse pas le dialogue avec Jésus. Elle s’étonne et elle le dit. Elle interroge Jésus. Elle cherche à comprendre. Les disciples au contraire sont si obtus que c’en est presque drôle. Ils se demandent pourquoi Jésus parle à la Samaritaine, et pourtant aucun ne l’interroge. Au cœur du dialogue d’amour entre le Seigneur et le pays de Samarie, alors que la femme bouleversée est partie chercher ses voisins, les disciples ne trouvent rien d’autre à dire que « Viens manger. » Jésus veut alors les faire participer à sa joie et à sa mission de témoin de Dieu : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. » Pas un n’ose poursuivre en demandant à haute voix : « De quelle nourriture parles-tu ? »

La première leçon est donc d’être fidèles au dialogue quotidien avec Jésus. Ne craignons pas de l’interroger, de chercher des réponses dans l’Écriture, dans la foi de l’Église, dans le silence de la prière. Il désire profondément nous conduire toujours plus profondément en amitié avec lui. Ne soyons pas des disciples blasés et revenus de tout, qui se contentent de suivre de loin sans trop se mêler.

La deuxième leçon est plus brève, mais plus essentielle : Jésus est le maître de l’impossible. Il tient dans sa main le cœur de tout homme et il peut en faire jaillir l’eau vive de la foi. Ne nous lassons jamais de prier pour les pécheurs. Offrons nos efforts de Carême pour que tous les hommes reconnaissent un jour Jésus comme le Sauveur du monde.

Père Alexandre-Marie Valder