« Le contenu du Pain rompu est la croix de Jésus »

« Le contenu du Pain rompu est la croix de Jésus »

« Le contenu du Pain rompu est la croix de Jésus »

Au cours d’une guerre entre les rois de Canaan, le neveu d’Abram et sa famille avaient été pris en otages. Lorsqu’Abram eut libéré les siens et fut revenu victorieux, Melkisédek, le roi-prêtre, offrit le pain et le vin en bénissant Dieu : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a fait le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. »

Comme il nous est bon, frères et sœurs, de pouvoir rendre grâce au Seigneur au terme d’une semaine, d’avoir quelqu’un à qui dire « merci ». Comme il nous est bon de pouvoir, avec ce pain et ce vin, remettre notre vie, nos joies, nos épreuves, entre les mains du Christ qui les présente à son Père pour nous. Chaque messe est une eucharistie, une action de grâce, un merci au Dieu trois fois saint pour tout ce qu’il nous a donné de bon au cours de cette semaine. Adoptons la belle attitude de relire chacune de nos journées, de nos semaines, pour y reconnaître le passage de Dieu dans tout le bien dont nous avons été acteurs, bénéficiaires, simples témoins émerveillés. Apportons tous ces mercis au Seigneur dans l’eucharistie.

À chaque messe, nous disons surtout « merci » pour la croix de Jésus, pour la miséricorde infinie du Père, pour le don sans mesure de l’Esprit de sainteté. L’eucharistie nous fait échapper à l’horizontalité de la vie. Elle nous ouvre à l’infini, à l’éternité, à Dieu, comme si un puits de lumière s’ouvrait au-dessus de l’autel, par où montent et descendent les bénédictions de Dieu : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut… et béni soit le Dieu très-haut », disait Melkisédek.

 Ce Melkisédek de la première lecture et du psaume, nous le retrouvons dans la prière eucharistique : « Et comme il t’a plu d’accueillir les présents de ton serviteur Abel le juste, le sacrifice d’Abraham, notre Père dans la foi, et celui que t’offrit Melkisédek, ton grand prêtre, oblation sainte et immaculée, regarde ces offrandes avec amour et, dans ta bienveillance, accepte-les. » En offrant le sacrifice de louange, nous faisons mémoire du sacrifice offert par Abel, Abraham et Melkisédek.

À l’aube de l’humanité, Abel le juste offrit au Seigneur des premiers-nés de son troupeau en sacrifice de louange et d’adoration. Ce faisant, il reconnaissait que tout ce qu’il avait, il l’avait reçu du Seigneur, et que le Seigneur était digne qu’on lui consacre le meilleur. Bien des millénaires avant Jeanne d’Arc, Abel proclamait déjà : « Dieu premier servi. » Abraham, notre Père dans la foi, fut même prêt à offrir Isaac, l’enfant de la promesse, le fils reçu du Seigneur.

Comme Abel, comme Abraham, nous reconnaissons que le Seigneur est digne que nous lui offrions et consacrions le meilleur, en toute confiance. Ces premières heures du premier jour de la semaine, elles sont pour lui. En venant à la messe, en priant chaque jour, nous lui offrons ce que nous avons de meilleur : du temps ; du temps brûlé sans utilité, sans profit ; du temps pour préparer avec soin les lieux , les fleurs, les linges, la musique, les chants, nos vêtements, nos cœurs ; pour rien, juste parce que le Seigneur le vaut bien, parce qu’il est saint, saint, saint, parce qu’il est digne de toute louange et de toute adoration.

 Dans l’Évangile de ce jour, les foules s’étaient rassemblées autour du Seigneur Jésus. Il les enseignait à propos du règne de Dieu et guérissait tous ceux qui en avaient besoin. Le soir tombe, et il semble raisonnable que la foule se disperse. Or le miracle du Seigneur Jésus permet à tous de demeurer encore un peu auprès de lui qui enseigne et guérit, lui qui est lumière de vérité, vie du corps et de l’âme.

Demeurer encore un peu auprès de lui : voilà ce que nous permet l’eucharistie. Rester avec le Christ, en communion avec son Père, dans l’Esprit. L’interroger et écouter sa parole. Le prier et recevoir son secours. Chacune de nos messes comprend cette dimension de prière et d’intercession pour nous-mêmes et pour les autres : les prières universelles, l’offrande silencieuse de nous-mêmes pendant la préparation de l’autel, la prière eucharistique pour l’Église, pour les vivants et les défunts, et enfin le Notre Père qui résume et rassemble nos prières pour tous les hommes, pour ceux qui prient et ceux qui ne veulent pas ou ne savent pas prier.

« Nous t’offrons pour eux ou ils t’offrent pour eux-mêmes et tous les leurs ce sacrifice de louange, pour leur propre rédemption, pour la paix, et le salut qu’ils espèrent. » : en disant la prière eucharistique en notre nom, j’imagine toujours les baptisés apportant et présentant au Seigneur, qui ses enfants, qui ses petits-enfants, qui son voisin malade, qui ses parents défunts… « ils t’offrent pour eux-mêmes et tous les leurs ce sacrifice de louange ». Avec grande confiance, ils t’apportent le monde entier, Seigneur, Père tout-puissant, ce monde que tu as sauvé par la croix de ton Fils et consacré par le don de l’Esprit.

 Passion et résurrection, ascension et don de l’Esprit : la Pâque de Jésus est rendue présente à chaque messe. Ce qui fait le caractère irremplaçable, vital, de notre eucharistie, c’est l’identité entre le sacrifice de la croix et son renouvellement sacramentel à la messe. Pour reprendre la formule frappante du pape François, « le contenu du Pain rompu est la croix de Jésus, son sacrifice d’obéissance par amour pour le Père ».

Lorsque je participe à la messe, je prends part à cet événement unique, l’offrande parfaite du Fils qui réconcilie l’humanité tout entière avec le Père. « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, nous disait saint Paul, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. »

Chaque messe nous rend contemporains de la Pâque du Christ, bénéficiaires du salut et de la réconciliation. Seigneur Jésus, nous annonçons ta mort par amour pour nous. En communiant à ton Corps et à ton Sang, nous proclamons que tu es vivant, ressuscité. Tendus vers l’espérance, nous attendons ta venue dans la gloire. Loué sois-tu, toi qui es présent dans le sacrement de l’eucharistie, toi qui vis et règnes avec le Père dans l’unité du Saint-Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder