Le poison de la comparaison

Le poison de la comparaison

Le poison de la comparaison

Seigneur notre Dieu, nous te rendons grâce, parce nous ne sommes pas comme ce pharisien… mais pourquoi, au fait ? Après tout, le pharisien que nous décrit le Seigneur Jésus a le souci de se détacher du péché, il pratique le jeûne, il donne de larges aumônes, il se rend au Temple pour prier, et il remet tout cela à Dieu dans l’action de grâce. Si seulement on pouvait en dire autant de tous les baptisés !

Alors, quel est le problème ?

Pour commencer, le pharisien est monté au Temple pour prier, cependant il n’attend rien apparemment, sinon la reconnaissance exacte de ses mérites par un Dieu comptable.

Et puis ce pharisien manque d’ambition, ou plus exactement de magnanimité, de grandeur d’âme : être meilleur que les voleurs, les injustes, les adultères et les collaborateurs du pouvoir romain, voilà toute son ambition dans la vie. D’ailleurs, il n’est pas rare d’entendre cela parmi les chrétiens : « Je suis quelqu’un de bien vous savez : je ne tue pas, je ne vole pas, je ne me drogue pas. » Ben heureusement ! Pensons-nous que ce soit seulement pour cela que le Seigneur Jésus est venu nous révéler l’amour du Père et nous donner l’Esprit Saint ?

 Se comparer aux autres n’est pas entièrement mauvais. Cela peut susciter une saine émulation, en particulier dans la pratique du bien. Attention cependant à manier la comparaison avec beaucoup de précautions.

L’Évangile d’aujourd’hui précise bien que le Seigneur Jésus a proposé la parabole à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres. La comparaison engendre facilement le mépris de ceux qui, à nos yeux, n’en font pas autant, ou pas aussi bien que nous.

Se comparer peut aussi nourrir l’inquiétude, la crainte de voir sa propre excellence remise en question si quelqu’un venait à nous égaler ou nous surpasser dans la prière, la pratique de telle vertu, le respect de telle règle de vie. Vais-je encore bénéficier de la lumière de Dieu si untel commence à me faire de l’ombre ?

La comparaison peut aller jusqu’à la colère, la haine et la violence, comme l’illustre le récit de la jalousie de Caïn qui le conduit au meurtre de son frère. Sans aller jusque là, combien de piques, de médisances, d’ironies mordantes n’ont d’autre but que de rabaisser les autres ?

 Les dangers de la comparaison ne guettent pas que les personnes qui ont objectivement de quoi être fières d’elles.

Le publicain de la parabole aurait très bien pu se comparer aux autres, se lamenter de ne pas être aussi généreux, aussi ascétique, aussi pieux et aussi respectueux de la Loi de Dieu que le pharisien qui était en train de prier devant lui.

Cette comparaison l’aurait alors sans doute enfoncé dans la tristesse et le découragement. Rappelons-nous de ce jeune homme riche désireux de suivre Jésus et qui s’en était allé tout triste, peut-être habité par des comparaisons empoisonnées : « De toute façon, il y en a qui suivent le Seigneur de plus près que moi, qui le servent mieux que moi, qui sont de meilleurs disciples que moi, alors à quoi bon ? »

 Le publicain se tient derrière le pharisien, et pourtant il ne semble même pas l’avoir remarqué. C’est le Seigneur qu’il considère, et encore, sans même lever les yeux : « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis ! »

Dimanche dernier, il était question d’une veuve qui réclamait justice contre son adversaire. Pauvre, faible et sans appui, cette veuve avait au moins la consolation d’être dans son droit, et elle réclamait à cor et à cris que ce droit lui soit reconnu. Ce dimanche, le publicain est pour nous une autre forme de pauvreté. Lui n’a aucune justice, aucun mérite à faire valoir, aucun autre motif d’espérance que la miséricorde de Dieu.

Rien ne compte que ce que chacun est devant Dieu. Et devant Dieu, tout homme est un pauvre qui sait qu’il vit chaque jour de la miséricorde de Dieu et qu’il peut sans crainte déverser cette miséricorde sur ses frères et sœurs.

 Un disciple du Seigneur a légitimement le droit d’être fier de lui-même, de reconnaître ce qu’il a fait de bien, d’en rendre grâce au Seigneur. Au terme de sa vie, S. Paul, un pharisien lui aussi, ne craignait pas d’écrire : «  J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice : le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour sa Manifestation glorieuse. »

C’est aussi le même S. Paul qui écrivait à Timothée : « Voici une parole digne de foi, et qui mérite d’être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi, je suis le premier des pécheurs. Mais s’il m’a été fait miséricorde, c’est afin qu’en moi le premier, le Christ Jésus montre toute sa patience, pour donner un exemple à ceux qui devaient croire en lui, en vue de la vie éternelle. » (1Tm 1,15-16)

Père Alexandre-Marie Valder