Le tout-Puissant qui s’abaisse et se met à nu

Le tout-Puissant qui s’abaisse et se met à nu

Le Tout-puissant qui s’abaisse et se met à nu

Parmi les paroles des premiers moines du désert d’Egypte, on trouve l’histoire de ce chien qui prend en chasse un lièvre. D’autres chiens, le voyant courir, le regardent passer ou bien se mettent à courir avec lui. Toutefois, seul le premier chien, lui qui a vu le lièvre, sait pourquoi il court. Lui seul poursuivra le lièvre jusqu’au bout, franchissant précipices, broussailles et épines. Lui seul ne saurait se décourager quand les autres chiens s’arrêtent, car il garde le regard fixé sur le lièvre. Là où le lièvre passe, le chien suit.

Le lièvre, c’est le Christ. Un chrétien n’est rien d’autre qu’un homme ou une femme qui connaît, aime et suit le Christ, obstinément, inlassablement. Là où le Christ passe, le chrétien suit. Sauf que, contrairement au lièvre, le Christ veut être suivi et poursuivi. En entrant dans la Vie, après notre mort, nous le rejoindrons, saisissant enfin Celui qui nous a saisis. S. Paul l’écrit aux Philippiens dans un passage bien connu : « Je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. » (Ph 3,12)

Là où le Christ passe, le chrétien suit. Or le Christ est passé par la voie de l’humilité et de l’abaissement. « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : ”Jésus Christ est Seigneur” à la gloire de Dieu le Père. » (Ph 2,5-11)

Cela va nous donner un regard neuf sur l’évangile. Le Seigneur Jésus nous dit : « Quand tu es invité, va te mettre à la dernière place… En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; et qui s’abaisse sera élevé », et ensuite : « Quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles. » Ne suivons pas trop vite notre première réaction qui est probablement de chercher en quelque sorte ce que la Bible dit qu’il faut faire pour plaire à Dieu. C’est tellement plus riche et plus profond et plus beau que cela !

Que se passe-t-il si nous regardons d’abord ces textes comme un portrait de Dieu ? À travers ses paraboles, ses enseignements et surtout ses faits et gestes, le Seigneur Jésus nous montre ce que fait Dieu et qui Il est.

« Moi, je suis le Tout-puissant qui humblement s’abaisse. Invité à des noces, je vais me mettre à la dernière place et j’attends que la personne qui m’a invité, si elle le veut, quand elle le veut, vienne me dire de monter plus haut. Moi, je suis le grand Roi qui invite à ma table les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles.

« Autrefois, au Sinaï, je me suis révélé dans “une réalité palpable, embrasée par le feu”, dans l’obscurité, les ténèbres, l’ouragan, les sons de trompette et la voix du tonnerre, afin que tu saches que Je suis le Seigneur. Aujourd’hui, je me révèle dans un fils d’homme parlant et agissant à la manière humaine, allant jusqu’à l’abaissement du serviteur, l’impuissance et la nudité du crucifié.

« Me voici, tel que Je Suis : le Dieu tonitruant du Sinaï et le Dieu murmurant de l’Horeb, le Dieu revêtu de gloire du Thabor et le Dieu nu du Golgotha. Je Suis le Tout-puissant qui s’abaisse et se met à nu. Voici le chemin d’humilité par lequel moi, le Seigneur ton Dieu, je suis passé. Si tu le veux, suis-moi. »

Charles de Foucauld, à qui l’on avait certainement raconté l’histoire du lièvre et du chien au monastère, avait bien compris jusqu’où peut mener la suite du Christ. Il écrivait : « Je ne veux pas traverser la vie en première classe pendant que Celui que j’aime l’a traversée dans la dernière. » C’est pourquoi il a choisi de s’abaisser.

Frères et sœurs, faisons un pas de plus. Sans doute connaissez-vous ce rite si éloquent de la prostration. La personne qui est ordonnée ou qui prononce des voeux religieux s’allonge à plat ventre en signe d’humilité et de disponibilité. Il me semble que la prostration ne parle pas d’abord de moi, de ma disponibilité, de mon abaissement, de la noblesse du don que je fais de ma vie. Elle parle d’abord de Celui vers Qui elle est dirigée : « Toi, Seigneur, tu es fort, bienveillant, absolument fiable, c’est pourquoi je peux te remettre ma vie entière. »

Il en va de même pour la vie du Christ, entièrement remise au Père, jusqu’à la souffrance, l’abandon et la mort. Ce n’est pas je ne sais quelle résignation stoïcienne, c’est une confession de foi : « Père infiniment bon et digne de foi, entre Tes mains, je remets mon esprit. »

Dans le mariage, il n’y a pas de prostration. Il y a cependant confession de foi, en quelque sorte, chaque fois que les époux se mettent à nu l’un devant l’autre, que ce soit au sens propre ou figuré. « Tu n’es pas Dieu, pourtant je crois que c’est Lui qui nous a donnés l’un à l’autre. Ainsi, j’en suis sûr(e), quelque chose de sa force, de sa bienveillance et de sa fiabilité passe par toi, c’est pourquoi, devant toi, je peux me montrer tel(le) que je suis, humble et nu, sans honte et sans crainte, sûr(e) que, par tes paroles et tes actes, tu m’élèveras et me rendras meilleur(e). »

Nous voici donc bien loin de la seule injonction moralisante à s’abaisser parce qu’il le faut, parce que c’est ce qu’on attend d’un bon chrétien, parce que c’est écrit dans l’Evangile.

Entendons le Seigneur Jésus nous dire à chacun : « Je n’exige pas de toi que tu t’écrases et t’anéantisses, surtout si c’est avec l’arrière-pensée de t’abaisser dans le but d’être élevé. Choisis l’humilité afin de vivre dans la vérité de ce que tu es, devant Moi et devant tous. Choisis l’humilité puisque Je l’ai choisie avant toi. Tu as choisis de Me suivre, alors suis-moi jusque là. »

Père Alexandre-Marie Valder