Les pieds sur la terre et les yeux vers le ciel.
Frères et sœurs, le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité, alléluia !
La vie humaine que le Seigneur Jésus avait reçue du Père, il la lui a offerte par amour, et il l’a reçue à nouveau, une vie renouvelée, indestructible, éternelle. La joie pascale nous concerne car, comme nous l’avons prié au début de la messe, la résurrection du Christ nous ouvre à tous les portes de l’éternité. Il est entré dans la vie de Dieu et, puisque nous sommes baptisés en lui, greffés sur lui, attachés à lui, il nous y entraîne avec lui. Suivre Jésus dans la vie éternelle, cela commence maintenant.
Beaucoup pensent que mes études me farcissent la tête de grandes vérités que je répercute ensuite en paroisse. En réalité, les bêtises que j’entends sont bien plus instructives. Par exemple quelqu’un déclarait doctement : « Suivre Jésus, le suivre vraiment, c’est se détacher complètement de tout ce qui est terrestre, eh ben oui. »
Eh ben non ! Nous ne sommes pas des anges, mais des hommes et des femmes. Nous ne trouvons pas Dieu en nous évadant dans les nuages, mais bien à travers ce qui fait notre vie concrète.
Et pourtant, me direz-vous, nous venons bien d’entendre saint Paul nous dire : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut […]. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. » Alors que faisons-nous ?
Lorsque nous lisons l’Écriture Sainte, nous ne devons pas prendre des paroles isolées, mais toujours considérer la Bible dans son ensemble. La Bible s’éclaire par la Bible. Une chose est certaine : il ne s’agit pas pour nous de rejeter tout ce qui fait notre vie terrestre, comme si tout cela n’avait pas d’importance. Est-ce que Jésus a fait cela ?
Non, bien sûr ! Saint Pierre nous le redisait dans la première lecture : « Partout où Jésus passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable. » Jésus a pris soin des personnes qu’il rencontrait : les malades, les possédés, les laissés-pour-compte, etc. Aujourd’hui encore, l’Église continue cette mission de prendre soin, de consoler, d’instruire, de relever.
C’est dans la chair de nos vies ordinaires que nous trouvons le Seigneur. « Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts », déclare saint Pierre. C’est aussi ce qu’écrivait Madeleine Delbrêl : « Il y a des gens que Dieu […] laisse dans la masse et qu’il ne “retire pas du monde” […]. Ce sont les gens de la vie ordinaire […]. Nous autres gens de la rue, croyons de toutes nos forces […] que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre sainteté. »
Ressuscités avec le Christ, vivant d’une vie nouvelle par notre baptême, nous n’avons donc pas à rejeter les choses de la terre. Cependant il nous faut encore moins rejeter les réalités d’en haut, comme le font tant d’hommes et de femmes autour de nous, qui vivent le nez collé à la terre sans jamais regarder vers le haut.
Frères et sœurs, c’est dans la chair de nos vies ordinaires que nous trouvons le Seigneur, mais il nous sera impossible de le reconnaître si nous n’avons pas d’abord pris le temps de rechercher les réalités d’en haut. Parce que le disciple bien-aimé avait passé du temps avec Jésus, parce qu’il avait écouté sa parole, alors il a pu reconnaître dans le tombeau vide le signe de la Résurrection : « Il vit, et il crut. »
Qu’est-ce que c’est qu’être chrétien ? Qu’est-ce que c’est qu’être disciple du Seigneur Jésus ? C’est être en perpétuel va-et-vient entre les réalités d’en haut et les réalités terrestres, les pieds sur la terre et les yeux vers le ciel. Depuis notre baptême, notre vie est déjà, comme dit saint Paul, « cachée avec le Christ en Dieu », et en même temps elle se déroule ici-bas.
Le jour de notre baptême, nous avons reçu une onction de Saint-Chrême accompagnée d’une parole. « Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction de d’Esprit Saint et de puissance », et nous participons à cette même onction, à la même dignité, à la même mission de prêtre, de prophète et de roi.
Comme prêtre, prophète et roi, tout chrétien est appelé à faire le lien entre les réalités d’en haut et celles de la terre.
Année après année, il devient un familier de Dieu, il lui parle comme à un ami, il lui confie ses joies, ses peines et celles du monde entier dans la prière personnelle, et surtout dans l’Eucharistie. Il se laisse enseigner par le Seigneur Jésus en méditant sa parole, afin de devenir à son tour un témoin de Jésus à ses voisins, à sa famille, à ses enfants, d’être, selon la belle expression de Madeleine Delbrêl, « à la frontière de l’incroyant qu’il côtoie, brèche de passage de l’Evangile ». Il se laisse convertir par le Seigneur Jésus, il s’efforce de lutter contre le mal en soi et autour de soi, il prend soin, il offre sa vie, sans tambour ni trompette, de manière ordinaire.
Dans son encyclique « Dieu est amour », le pape Benoît XVI écrivait : « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive. »
Frères et sœurs, la Résurrection nous donne la possibilité d’une telle rencontre personnelle, quotidienne, toujours nouvelle, avec Quelqu’un de vivant, Quelqu’un qui marche à nos côtés pour nous fortifier, nous éclairer, nous libérer, pour recevoir la chair de nos vies ordinaires et les faire passer, par lui, avec lui et en lui, jusque dans le cœur du Père.
Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Alléluia !