L’espérance que donne son appel
Plusieurs d’entre nous prient avec la liturgie des heures : laudes, vêpres, complies, etc. Si ce texte de saint Paul aux Éphésiens sonne familièrement à vos oreilles, c’est normal, puisque nous le chantons chaque lundi soir. Je dis bien « chantons » : Paul, ou bien un compagnon qui écrit sous son nom, a ressaisi l’essentiel de la foi chrétienne sous la forme d’une hymne de bénédiction : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! »
La lettre que Paul écrit aux chrétiens d’Éphèse s’ouvre avec ce chant d’émerveillement, comme ces films d’action qui nous plongent dès la première scène au cœur d’une fusillade ou d’une bataille spatiale. De but en blanc, nous sommes jetés au milieu de l’action… de grâce.
Cette hymne de louange éclate triomphalement. « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ. Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs, par Jésus le Christ. »
Ici Paul ne se pose absolument pas la question des autres, des gens de l’extérieur, de ceux qui ne croient pas, qui ne connaissent pas ce dessein bienveillant de Dieu le Père et qui ne savent rien de ce qui s’est passé en Judée cinquante ans plus tôt. Il s’émerveille seulement de ce qui est là, comme quelqu’un qui, saisi devant un paysage grandiose, ne pourrait que dire : « Venez voir comme c’est beau ! »
En effet, il a de quoi émerveiller, ce projet de salut de Dieu qui traverse l’histoire de la création du monde à son accomplissement. « Il nous a choisis dans le Christ, avant la fondation du monde… Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs, par Jésus le Christ. »
La foi catholique affirme que tous les êtres humains sans exception sont prédestinés au Ciel, appelés à devenir, dans le Christ, des fils adoptifs, à partager la vie même de Dieu. Autrement dit, contrairement à certains courants du protestantisme ou de l’islam, dans le catholicisme, personne n’est d’office promis à la damnation.
Tous sont appelés, encore faut-il répondre à cet appel, et Paul est bien conscient que cette réponse n’est pas automatique, pas acquise d’avance. Personne ne peut mettre en doute le zèle missionnaire de Paul et de ses compagnons. Comme il l’écrit ailleurs, il s’est fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques uns, il a affronté toutes les épreuves, les privations, les contradictions afin que tous sachent que le Seigneur Jésus est mort et ressuscité pour eux.
Dans cette hymne cependant, rien d’autre qu’une pure action de grâce parce que le projet de salut de Dieu est réalisé aujourd’hui dans une portion de l’humanité, même réduite : en l’homme Jésus de Nazareth, qui siège à la droite du Père avec son âme et son corps ; en quelques centaines ou milliers de disciples disséminés dans les villes de l’Empire Romain, qui sont déjà « dans le Christ », selon l’expression qu’emploie Paul huit ou neuf fois dans ce seul passage.
Combien plus pouvons-nous aujourd’hui nous associer à cette même action de grâce de l’apôtre Paul ! Le projet de salut de Dieu est déjà réalisé dans ces quelques milliers de saints et bienheureux officiellement reconnus par l’Église, mais aussi dans les centaines de millions d’anonymes glorifiés auprès d’eux. Aujourd’hui, de par le monde, des centaines de millions de chrétiens vivent déjà « dans le Christ » grâce au baptême, à la confirmation et à l’eucharistie. Et combien de non-chrétiens que l’Esprit de Jésus travaille hors des frontières visibles de l’Église ? Et combien de défunts que le purgatoire achève de préparer à la communion parfaite avec Dieu ?
Et si cette attitude de l’apôtre Paul nous inspirait ? Vous allez peut-être me trouver candide, mais au fond, n’est-ce pas un miracle permanent que quelques jeunes choisissent encore la vie religieuse dans une société de consommation ? que des chrétiens continuent chaque dimanche de lire des textes bimillénaires dans une société assoiffée de nouveauté ; de communier, de faire corps, dans une société virtuelle et dématérialisée ; de reconnaître et confesser leurs péchés dans une société qui déresponsabilise ; de brûler du temps en prière et en adoration dans une société pragmatique et utilitariste ?
Sans porter aucun jugement sur les autres, nous pouvons dire que quelques uns sont déjà « dans le Christ », pour reprendre l’expression de Paul, et c’est un motif d’allégresse dès aujourd’hui. « [Dans le Christ], nous sommes devenus le domaine particulier de Dieu, nous y avons été prédestinés selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé : il a voulu que nous vivions à la louange de sa gloire, nous qui avons d’avance espéré dans le Christ. [Dans le Christ], vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. »
Bien sûr, être « dans le Christ » ne prémunit pas contre les épreuves. Jésus en a eu sa part et les apôtres aussi ont été rejetés : « Si on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez », leur dit Jésus dans l’Évangile. Au cœur de l’hymne, Paul glisse ces mots : « En lui, par son sang, nous avons la rédemption. » Il a fallu que le Christ, le Fils de Dieu, versât son sang pour mener à bien le projet de salut dans l’histoire humaine, avec ses résistances, ses contradictions, ses épreuves.
Ce n’est qu’au Ciel que nous serons pour de bon « libérés de tout péché, à l’abri de toute épreuve ». Dès aujourd’hui, menons notre vie sur cet horizon d’espérance qui doit nourrir en nous une vraie joie. Nos maux d’aujourd’hui n’auront pas le dernier mot. Quant à nos bonheurs d’aujourd’hui, ils sont les prémices, les tendres pousses de la béatitude éternelle que nous attendons.
Je conclus en laissant la parole à Paul : « Que le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. » Amen.
Père Alexandre-Marie Valder