N’ayons pas peur !
Jésus ne pouvait-il pas entrer discrètement à Jérusalem ? Si, bien entendu ; à plusieurs reprises dans l’Évangile, sachant qu’il est menacé de mort, il se rend discrètement aux fêtes. Alors pourquoi cette entrée triomphale d’aujourd’hui ?
La joie du Seigneur Jésus n’est pas feinte ; c’est une joie authentique, bien loin du divertissement sans but derrière lequel, trop souvent, nous cachons notre mal de vivre. La joie du Seigneur est aussi une joie lucide : Jésus n’est pas un doux imbécile qui se laisse acclamer sans se douter de ce qui l’attend. Jésus n’est pas un brave type qui subit un malheur qui le dépasse. Les foules qui l’acclament en disant : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur » disent vrai : Jésus est vraiment Seigneur et Roi.
Si Jésus se laisse acclamer, au grand scandale des pharisiens, c’est parce que, dès son entrée à Jérusalem, son regard se porte déjà au-delà des jours de la Passion, vers sa victoire définitive de Pâques.
C’est comme Seigneur et Roi, et non comme victime impuissante, que Jésus entre dans sa passion. Il ne subit rien, il fait face. Le prophète Isaïe, qui écrit longtemps avant Jésus, nous parle d’un disciple à l’écoute de la volonté de Dieu et qui choisit de ne pas s’y dérober, car il sait qu’il ne sera pas abandonné pour toujours. L’apôtre Paul, qui écrit un peu après Jésus, nous le dit plus clairement encore : le Christ Jésus, lui qui est Dieu, n’a pas contemplé le monde de haut, il a volontairement choisi la place du serviteur obéissant, de l’innocent condamné, car il avait déjà en vue le triomphe de Pâques.
Je voudrais que nous en soyons bien convaincus : la passion n’est pas un malheureux concours de circonstances. Le Seigneur Jésus ne subit pas les événements, il les maîtrise. Pour mieux nous en rendre compte, promenons-nous ensemble dans le récit de la passion.
Ce n’est pas en homme passif qu’il annonce sa mort : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. » Sa vie, nul ne la lui prend, il la donne de lui-même. Au cours du repas, il anticipe ce don total : il rompt le pain et fait passer la coupe : « Ceci est mon corps, donné pour vous… mon sang répandu pour vous » et il annonce à Judas et à Pierre qu’ils vont le trahir et le renier.
Au jardin des oliviers, Jésus prie. Il voit que l’épreuve l’attend, et aussi qu’elle est le seul moyen pour nous donner le salut. C’est librement qu’il décide de ne pas se dérober : « Que soit faite, non pas ma volonté, mais la tienne. »
Trahi, arrêté, condamné, torturé, exécuté, Jésus continue d’agir : guérir le soldat blessé, enseigner ses accusateurs, consoler les filles de Jérusalem, pardonner à ses bourreaux, réconcilier le criminel crucifié à côté de lui. Est-ce que ce sont là les actions d’un homme qui subit ?
Le Seigneur Jésus ne subit pas les événements, il les maîtrise. Au seuil de la semaine sainte, alors que nous allons entrer avec Jésus dans sa passion, nous pouvons être rassurés et en sécurité. N’ayons pas peur.
N’ayons pas peur en considérant les événements du monde. Épidémie, guerre, crise politique, crise économique, crise climatique… le Seigneur ne subit aucun des aléas du monde, il sait les faire mystérieusement tourner au bien de ceux qui l’aiment. Tant que nous tenons la main de Jésus, nous n’avons rien à craindre.
N’ayons pas peur des épreuves du quotidien. Jésus a eu sa part de fatigues, d’angoisses, de deuils, il sait de quoi nos vies sont faites, il n’est pas impuissant à compatir avec nous. Il ne fait pas disparaître les épreuves de cette vie – lui-même en a connu – mais il les traverse avec nous.
N’ayons pas peur non plus de considérer nos propres ténèbres. Jésus est semblable au médecin le plus compétent et le plus délicat qui soit. Il connaît le cœur de chacun, il connaît ce que je n’ose avouer à personne, y compris à moi-même. Il me connaît parfaitement et il m’aime. Et parce qu’il m’aime, il désire que je sois meilleur, que je me détourne de mes noirceurs, de tout ce qui me pollue, m’étouffe et m’englue ; il désire que j’accepte la réconciliation qu’il m’offre.
N’ayons pas peur enfin de mettre notre foi en Jésus. « Je ne puis craindre un Dieu qui s’est fait pour moi si petit[…], disait sainte Thérèse, car il n’est qu’amour et miséricorde. » Du haut de la croix, Jésus donne son amour et sa miséricorde et nous supplie de l’accepter. Si quelqu’un décide de mettre sa foi en Jésus et de lui faire confiance, Jésus ne lui prend rien ; bien au contraire, c’est lui qui donne tout à ceux qui veulent bien marcher avec lui et devenir ses disciples : son amitié et son intimité, son pardon, son corps, son sang, et enfin la vie éternelle avec lui et avec son Père dans la communion de l’Esprit Saint, pour les siècles des siècles. Amen.
Père Alexandre-Marie