Plus tard, c’est à dire aujourd’hui (Jeudi saint)

Plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui
« C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » s’étonne Simon-Pierre devant le geste inédit et incompréhensible du Seigneur Jésus. Lui, le Seigneur et le Maître, le Dieu des pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de Moïse et d’Aaron, le Dieu de Samuel et d’Elie, le Dieu de David et de Salomon, se trouve à leurs pieds, dans la posture de l’esclave.
« C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ?
_ Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard, tu comprendras. »
Le Seigneur Jésus sait qu’il s’agit là de son dernier repas avec ses amis et que tous vont se détourner de lui. Il sait qui va le trahir et qui va le renier. Il sait que l’attendent l’abandon et le mépris, l’injustice et la violence, la souffrance et la mort. Il sait que, dans moins d’une journée, aux yeux de tous, tout sera fini pour de bon : ce sera l’échec, le silence, le tombeau, le néant, la nuit.
Cependant, le Seigneur Jésus ose annoncer un « plus tard » par-delà la nuit :
« Plus tard, vous comprendrez ce que je fais aujourd’hui. Plus tard, vous ferez comme je fais pour vous aujourd’hui ; vous vous laverez les pieds les uns aux autres. Plus tard, vous mangerez et boirez le Corps et le Sang que je livre pour vous aujourd’hui. Plus tard, vous les apôtres, vous tiendrez ma place de prêtre en faveur de vos frères et sœurs. Plus tard, vous renouvellerez les paroles que je dis et les gestes que je fais aujourd’hui : Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang.
« Ce que vous ferez plus tard, vous ne le ferez pas comme le souvenir d’un échec. Pensez à vos pères, les fils d’Israël. Célèbrent-ils la Pâque pour se souvenir d’un échec ou d’une merveille du Seigneur ? L’agneau sacrifié, les portes marquées du sang, le repas pris en hâte leur rappellent qu’ils étaient esclaves, que le Seigneur les a libérés par sa main puissante et que, aujourd’hui, ils sont libres de célébrer la Pâque en mémoire de cet événement.
« Qu’il en soit de même pour vous plus tard. Plus tard, allez-vous vous laver les pieds les uns aux autres pour dire : “Rappelons-nous de Jésus. Voilà ce qu’il a dit et ce qu’il a fait. Mauvaise idée : on voit où ça l’a mené.” ? Plus tard, allez-vous communier au Corps et au Sang d’un type mort bêtement il y a 2000 ans ou bien au Corps et au Sang d’un Vivant ? Allez-vous faire mémoire de la victoire de la mort ou de la victoire de la vie ?
« Plus tard, souvenez-vous que je vous ai dit : “Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne.” Aujourd’hui, voici mon Corps et mon Sang, voici ma vie, mon humanité, ma divinité, voici tout ce que je suis. Je les livre aujourd’hui et je les livrerai chaque jour pour vous, afin que, plus tard, vous ayez la vie éternelle. »
Frères et sœurs, la Cène d’aujourd’hui nous assure que la Croix de demain ne sera pas un échec, un gâchis inutile. Elle est au contraire un sacrifice d’amour, une offrande volontaire du Christ à son Père en notre faveur. La Cène d’aujourd’hui nous assure que demain, tout sera accompli, achevé, mais tout ne sera pas fini, terminé.
Aujourd’hui, nous vivons déjà au-delà de la nuit de la Croix, dans le « plus tard » annoncé par le Seigneur Jésus il y a quelque 2000 ans au Cénacle de Jérusalem.
Plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, nous recevons sa Chair immolée et son Sang versé, Chair et Sang d’un Vivant qui fait de nous des vivants. Communier au Christ mort et ressuscité nous engage à mener une vie semblable à la sienne : « Voici comment nous avons reconnu l’amour : lui, Jésus, a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères. »
Plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, nous suivons l’exemple donné par notre Seigneur et Maître : nous nous servons les uns les autres, nous servons tout homme, sûrs que ce qui est donné pour l’amour de Dieu n’est jamais perdu. Aujourd’hui, l’Esprit du Christ, l’Esprit du Dieu Vivant, est à l’œuvre en nous. Il nous donne de servir avec la force même du Christ et de porter des fruits pour la vie éternelle.
La vie éternelle est déjà à l’œuvre dans la personne qui accueille l’amour du Christ et se laisse former et transformer par l’Esprit. Aux Israélites libérés de l’esclavage, le Seigneur a donné la Loi comme modèle d’une vie qui convient à des hommes et femmes libres. Notre Loi, c’est l’Esprit de Dieu lui-même. Si nous coopérons avec lui, il fera de nous des hommes et des femmes à l’image du Christ, vigilants dans la prière et remplis d’allégresse, prêts à recevoir notre Seigneur et Maître lorsqu’il viendra dans la gloire. Car il viendra.
« Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, nous rappelle saint Paul, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. » D’où l’acclamation au cœur du rite eucharistique : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus, nous proclamons ta Résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. »
Plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, nous vivons dans l’espérance d’un « plus tard que plus tard », au-delà des épreuves et des souffrances, lorsque le Seigneur Jésus viendra juger le monde sur l’amour. Prions les uns pour les autres, afin que nous annoncions sans crainte la mort du Seigneur, que nous proclamions sa Résurrection dans la joie et attendions sa venue dans la gloire dans l’espérance d’un cœur vigilant. Viens, Seigneur Jésus !
Père Alexandre-Marie Valder