Pour une vie eucharistique
Pour une vie eucharistique
Frères et sœurs, partons d’une évidence : depuis 2000 ans, chaque semaine, et même souvent chaque jour, partout dans le monde, les chrétiens célèbrent l’eucharistie. Dès l’origine, les disciples se réunissent pour la fraction du pain, reprenant les gestes et les paroles du Seigneur Jésus le soir de son dernier repas, comme le racontent Matthieu, Marc et Luc. Jean, de son côté, rapporte le long discours sur le pain de vie que nous avons commencé à lire il y a deux semaines et qui se poursuit encore aujourd’hui et dimanche prochain.
Pourquoi célébrons-nous l’eucharistie ? Vous me direz : « Parce que Jésus a dit : “Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle.” » Mais pourquoi si souvent ? Nous avons presque tous fait notre première communion ici. Est-ce que la vie éternelle reçue dimanche dernier serait déjà épuisée ?
Peut-être parce que la vie dont il est question ici, cette vie éternelle qu’ont ceux qui mangent la chair et boivent le sang du Seigneur est moins une énergie à recharger qu’une relation à entretenir. Le Seigneur Jésus n’est pas uniquement quelqu’un qui a été là autrefois, il y a 2000 ans, ou bien le jour de notre baptême, et qui sera là lorsque nous paraîtrons devant lui à l’heure de notre mort. « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde », disait-il à ses Apôtres.
Le Concile Vatican II rappelle que « le Christ est toujours là auprès de son Église, surtout dans les actions liturgiques… dans le sacrifice de la messe et dans la personne du ministre… et, au plus haut degré, sous les espèces eucharistiques… par sa puissance, dans les sacrements… dans sa parole… lorsque l’Église prie et chante les psaumes, lui qui a promis : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Mt 18, 20). »
Mais comment être sûr d’être avec lui ? C’est simple comme bonjour, comme manger et boire. Pas de mots magiques, pas de prières dans des langues étrangères, pas d’exercice d’ascèse ou de méditation, rien que la foi qui se traduit par l’amen accompagné du geste de recevoir.
La foi que l’Église confesse, célèbre, vit et transmet depuis 2000 ans n’est ni un message, ni une idée ; c’est, écrit le pape François, une lumière, c’est-à-dire ce qui permet de voir le monde tel qu’il est. La foi n’est ni seulement quelque chose à savoir, ni seulement quelque chose à faire, c’est un style de vie qui concerne toute la personne, âme et corps, intelligence, volonté, affectivité et relations ; un style de vie eucharistique. C’est la connaissance personnelle de quelqu’un, de Jésus de Nazareth.
Connaître personnellement quelqu’un, nous en avons tous l’expérience avec nos proches, notre famille, nos amis. La connaissance que nous avons d’eux est sans commune mesure avec une connaissance objective comme une fiche des renseignements généraux. Pour transmettre au fil des âges une connaissance objective, il suffirait d’un livre ou d’un message oral. Pour transmettre la connaissance personnelle du Seigneur Jésus, pour permettre à toute personne de faire l’expérience de Jésus vivant, il faut bien davantage : il faut les sacrements.
Par les sacrements, spécialement l’eucharistie, nous transmettons une mémoire incarnée : il y a 2000 ans environ, dans ce petit pays que nous appelons la Terre Sainte, le Fils de Dieu pour nous s’est fait homme, il a vécu comme l’un de nous, il a livré sa vie pour nous, il est mort et il est ressuscité. Il a brisé les portes de la mort ; il a transformé la mort corporelle en passage vers la vie éternelle.
Cette mémoire du passé éclaire notre présent et notre avenir : Dieu nous aime, il est avec nous dans nos joies et nos épreuves, la vie éternelle est à portée de main. C’est précisément à propos de l’eucharistie que sainte Thérèse de Lisieux écrivait : « Je ne puis craindre un Dieu qui s’est fait pour moi si petit… je l’aime !… car Il n’est qu’amour et miséricorde ! »
Rencontrer régulièrement le Christ vivant, cela nous change, de même que la fréquentation d’une personne vertueuse nous rend meilleurs. Si nous sommes cohérents, c’est toute notre vie qui peu à peu s’organise en fonction de l’eucharistie : « Prenez bien garde à votre conduite, nous demandait saint Paul : ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages. » À chaque eucharistie, avant la communion, nos frères d’Orient proclament : « Aux saints les choses saintes ! » c’est-à-dire : « Que les baptisés en qui habite l’Esprit Saint et qui vivent en conséquence reçoivent le corps et le sang du Christ »
Autrefois, cette attention à la cohérence entre l’eucharistie et la vie s’est trop souvent limitée à la question de l’état de grâce, voire même focalisée sur des questions de vie sexuelle. Quel dommage…
Aujourd’hui, comme chaque dimanche, la Sagesse, c’est-à-dire le Christ, m’invite à sa table. Moi qui suis là aujourd’hui, ai-je été assidu à répondre à ses précédentes invitations ou bien le Seigneur n’est-il qu’une relation de loin en loin ? Moi qui suis là aujourd’hui, ai-je un vrai désir de cette vie que m’offre le Seigneur, ou bien est-ce que je communie de manière machinale ? Me suis-je donné les moyens de creuser ce désir, par la prière quotidienne notamment ? Moi qui viens aujourd’hui communier au Seigneur, où en suis-je de la communion avec ces frères et sœurs pour lesquels Jésus a donné sa vie ? Moi qui suis là aujourd’hui pour recevoir le Christ mort et ressuscité, est-ce que je vis comme quelqu’un qui est mort au péché et vivant pour Dieu, ou bien trop souvent comme un fou et non comme un sage ?
Aucun d’entre nous n’est saint. Nous nous efforçons simplement, humblement, patiemment de tendre vers une vie cohérente avec l’eucharistie que nous recevons chaque semaine, chaque jour. « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. » Seigneur, répands en nos cœurs ton amour, fais de nous des hommes et des femmes eucharistiques. Amen.
Père Alexandre-Marie Valder