Quel Fils de Dieu es-tu ?

Quel Fils de Dieu es-tu ?

Quel Fils de Dieu es-tu ?

« Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » Bien que le Seigneur Jésus soit Fils de Dieu, il ne fait pourtant pas ce que lui suggère le diable afin de le prouver. Être Fils de Dieu, pour le Seigneur Jésus, c’est tout autre chose que ce que pensent et le tentateur et la part de nous-mêmes qui reste encore à convertir.

Le Seigneur Jésus n’a pas honte d’être « Fils de ». Toute sa mission, tout son être, c’est d’être référé à un autre, de se recevoir d’un autre, le Père, qui donne à son Fils tout ce qu’il est lui-même, à l’exception de son identité de Père. De toute éternité, le Fils n’est qu’un pur se-recevoir-du-Père, et le Père un pur se-donner-au-Fils.

Pour le Seigneur Jésus, être, c’est être le Fils du Père. Critiquer la création sortie des mains du Père en reprochant à cette pierre de n’être pas comestible ou, pire encore, faire violence à cette pierre pour qu’elle devienne ce qu’elle n’est pas serait aller à l’encontre de son être de Fils. Non, cette pierre, bien que non comestible, est belle et bonne, voulue et aimée par le Père.

Faisons un pas de plus. Dans le désert, le Seigneur Jésus, le Fils du Père Eternel, a eu faim de pain. Sur la croix, il a eu soif d’eau. Combien plus a-t-il, et de toute éternité, faim de notre foi, soif que nous lui rendions amour pour amour. Et de même qu’il ne fait pas violence à la pierre pour apaiser sa faim, il ne fait pas violence aux créatures libres que nous sommes. Affamé et assoiffé de la foi et de l’amour des humains, il se refuse pourtant à violer notre liberté. « Tout près de toi est la Parole », nous redisait saint Paul à l’instant. Y répondre par la foi appartient à la liberté de chacun.

Cela veut-il dire que le Fils de Dieu est impuissant ? Bien sûr que non. Avec le Père et le Saint-Esprit, le Fils est un seul Dieu, le Dieu-Fort, le Tout-Puissant, le Maître des temps et de l’histoire. La toute-puissance du Fils s’est fait voir par ses miracles, mais toujours en dépendance du Père. « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, expliquait Jésus après avoir guéri le paralytique de la piscine de Bethzatha. Il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait. Il lui montrera des œuvres plus grandes encore, si bien que vous serez dans l’étonnement.  Comme le Père, en effet, relève les morts et les fait vivre, ainsi le Fils, lui aussi, fait vivre qui il veut. »

Par conséquent, il y a un côté comique dans cette prétention du diable : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux », alors que celui à qui il s’adresse est le seul qui puisse dire en toute vérité : « Tout m’a été remis par mon Père. »

Même au diable, créature déchue mais créature de Dieu tout de même, le Seigneur Jésus ne fait pas violence. Il le laisse interpréter sa partition dissonante, car il sait que lui, le Seigneur, a la puissance de tourner en bien même le mal accompli par ses créatures. Puisque le Fils de Dieu se refuse même d’exercer avec violence sa domination réelle sur le diable, combien plus fait-il preuve de douceur, de patience et de longanimité envers nous qui restons ouverts au repentir.

Enfin, en refusant de se jeter du sommet du Temple, le Fils se refuse même à faire violence au Père, à exercer sur lui le chantage de l’amour : « Prouve-moi que tu m’aimes, là, tout de suite. » Fils du peuple d’Israël, il se place à l’école du livre du Deutéronome : aujourd’hui, je suis en vie sur la terre promise par le Seigneur, j’en récolte les fruits et je suis libre d’en présenter les prémices en offrande au Seigneur ; c’est la preuve que le Seigneur m’a aimé jusqu’à aujourd’hui, et cela me suffit pour croire qu’il ne m’abandonnera pas demain. Jésus ira jusqu’au bout de cette confiance : abandonné de ses amis, condamné par les juifs et les païens, maudit, torturé, ses derniers mots seront pour son Père : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit. »

Frères et sœurs, par le baptême, la confirmation et l’eucharistie, nous devenons, non sans notre participation libre, fils et filles de Dieu dans le Fils de Dieu. Nous sommes transformés à l’image de ce Fils de Dieu qui déjoue les calculs et les idées préconçues du diable, ce Fils de Dieu dont la puissance exclut toute mainmise, domination et violence sur les choses, sur les personnes et sur Dieu.

Qu’est-ce que cela peut vouloir dire pour nous ?

La pierre n’a pas été créée pour apaiser la faim. Elle est pourtant belle et bonne, voulue et aimée par Dieu. Servir toute créature à la manière de Jésus, c’est porter sur elle un regard d’admiration et de louange. Par elle-même, la créature inanimée est incapable de louer son créateur. Elle a besoin de l’être humain pour cela, pour être consacrée à Dieu. Cela vaut pour cette créature qu’est le temps, temps dont nous consacrons une part à Dieu par la prière personnelle et la liturgie.

« Et maintenant voici que j’apporte les prémices des fruits du sol que tu m’as donné, Seigneur, prie le juif pieux selon le Deutéronome. Tu es béni, Seigneur, Dieu de l’univers, nous avons reçu de ta bonté ce temps, cette pierre, cette fleur, cet oiseau, ce coucher de soleil, nous te les présentons. »

Servir la créature, c’est aussi s’en servir. C’est servir la pierre que de bâtir une cathédrale, c’est servir le blé, l’eau, le bois et le feu que de cuire du pain. S’il n’est pas question de se servir des personnes comme on se sert des choses, exercer sur elles une juste responsabilité comme parent, éducateur, chef d’entreprise, élu ou pasteur est un excellent moyen de les servir selon l’exemple et le commandement du Christ.

Et si servir Dieu, c’était avant tout lui s’en remettre à lui sans réserve, sans chercher à lui dicter nos conditions, à lui forcer la main, à lui dire : « Si tu m’aimes vraiment, fais ceci » ? Et si c’était le laisser nous mener par les chemins qu’il connaît mieux que nous, et lui redire sans cesse : « Père, que ta volonté soit faite… Père, entre tes mains, je remets mon esprit » ?

Nous ne sommes pas le Christ. Nous n’avons pas encore banni de notre agir toute mainmise, domination et violence sur les choses, sur les personnes et sur Dieu. Discernons ces zones encore à convertir afin de les déposer au cours de ce Carême dans le sacrement du Pardon.

Père Alexandre-Marie Valder