Révélation, révolution

Révélation, révolution

Révélation, révolution

Dans la parole évangélique de ce dimanche, le Seigneur Jésus ne nous parle pas d’abord de morale. Il ne s’agit pas d’ajouter un « il faut – tu dois » de plus à nos vies déjà compliquées. Il s’agit de nous montrer qui est Dieu et qui est l’être humain. Le Seigneur Jésus est le visage de la miséricorde du Père, la manifestation du seul et unique vrai Dieu. Il révèle aussi qui est l’être humain, pleinement humain.

Nous n’avons pas besoin de l’Évangile, pas besoin de Jésus, pour nous inventer une morale humaine à notre mesure, une morale bourgeoise qui ne fait pas de vague. Pas besoin de Jésus pour savoir que, pour que la société tourne rond, il faut aimer nos amis et faire du bien à ceux qui nous en font. « Même les pécheurs en font autant », remarque Jésus.

Nous n’avons pas non plus besoin de Jésus pour nous inventer des dieux à notre image, idoles religieuses, idoles sportives ou culturelle, idoles politiques. « Ne mange pas ceci, ne dis pas cela, agis comme ceci, prie comme cela, indigne-toi bruyamment de ceci, sois indifférent à cela, et tu seras dans le camp du bien, contrairement aux autres, les infidèles, les conservateurs, les progressistes, les populistes, bref ! les méchants. »

L’Évangile n’est pas une morale à deux sous pour société bourgeoise. C’est une révolution : révolution divine, révolution humaine.

 Révolution divine. Le Seigneur Jésus est venu pour nous faire connaître Dieu ; Dieu tel que l’homme ne pouvait pas l’inventer ; Dieu qui aime jusqu’à ses ennemis, qui fait du bien à ceux qui le méprisent, le haïssent, le rejettent ; Dieu si fort qu’il n’a pas besoin d’être violent, pas besoin de vociférer, de maudire, d’anathématiser, de vitupérer contre les infidèles, ni d’être défendu par les tenants du camp du bien ; Dieu si bon, si vrai, si beau qu’il n’a pas besoin de traiter le mal par le mal, d’employer les armes du mensonge et de la laideur pour triompher.

Soyons attentifs aux paroles du Seigneur. Jésus ne nous dit pas : « Ayez de l’affection pour vos ennemis », ni : « Soyez indifférents au mal qu’on vous fait ». Il dit : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. » Dieu dont le Seigneur Jésus est la Parole et le visage n’a pas forcément de l’affection pour ses ennemis en tant qu’ennemis, et il n’est certainement pas indifférent au mal. Cela ne l’empêche pas de faire du bien.

Notre Dieu est un Dieu qui agit inlassablement pour le bien. Du néant, il a donné l’être à tout ce qui existe ; devant le refus de l’homme, il a couru jusqu’au bout le risque de le rechercher, de le rencontrer, jusqu’au rejet, jusqu’au reniement, jusqu’à la croix. Ceux qui aiment Dieu, il leur fait du bien. Ceux qui ne l’aiment pas, il leur fait du bien également, sans désespérer, sans rejeter, sans condamner.

 Et ce n’est pas tout. L’Évangile révolutionne notre image de Dieu. Tant que nous sommes en cette vie, nous ne mesurerons pas complètement à quel point l’Évangile est révolutionnaire en ce qui concerne la personne humaine.

Cette nuit-là, le Seigneur avait vraiment livré Saül entre les mains de David. Là où tous voyaient l’occasion d’une juste vengeance, David vit au contraire l’occasion d’un acte de miséricorde capable de changer le cœur du roi. Afin de prouver sa bonne foi, il épargna son ennemi, lui empruntant seulement sa lance et sa gourde. « Je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur », explique David. Le messie, c’est-à-dire le christ, celui qui a reçu l’onction du Seigneur.

Baptisé et confirmé, je suis messie, je suis christ, et cette onction est un devoir. Noblesse oblige. Moi qui suis christ – avec une minuscule – je me dois d’agir à l’image de celui qui est Christ – avec une majuscule. « Comme le Christ est du ciel, nous dit saint Paul aujourd’hui, ainsi les hommes seront du ciel. Et de même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel. »

Baptisés et confirmés, mes frères et sœurs chrétiens sont des membres du Christ. En eux, le Christ pourrait me dire, comme il l’a dit à Paul un jour : « Pourquoi me persécutes-tu ? » Et les autres ? ceux qui ne sont pas baptisés ? qui ne sont pas des membres du Christ ? ils ont vocation à le devenir.

On dit du tout jeune Victor Hugo qu’il désirait être « Châteaubriand ou rien ». Pour la personne humaine, quelle qu’elle soit, c’est être saint ou rien, christ ou rien, assumé en Dieu ou rien.

En effet – et c’est là que l’Évangile est révolutionnaire – nous croyons à une vocation universelle à la sainteté. Comme l’ont redit les Pères de Vatican II, la vocation dernière de l’être humain est réellement unique, à savoir divine (Gaudium et Spes 22.5). Au Ciel, il n’y a pas de HLM ni de quartier VIP. Il n’y a pas d’un côté les chrétiens, saints, unis au Christ et associés au mystère pascal, et puis les autres, les braves gens, les musulmans, les hindous.

Toute personne est soit membre du Christ, déjà passée par la mort avec lui grâce au baptême, soit appelée à le devenir. Dans l’humanité, il n’y a que des christs et des « christifiables ». Aujourd’hui, qu’ils soient baptisés ou non, qu’ils nous aiment ou non, que nous ayons de l’affection pour eux ou non, nous pouvons les regarder avec espérance comme nos futurs commensaux à la table du Royaume.

 Frères et sœurs, nous croyons-nous membres d’un même corps ou appelés à le devenir ? Croyons-nous que nous deviendrons participants de la nature divine, intimement unis à ce Dieu qui est tendresse et pitié, en qui il n’y a pas trace de tenèbre, ce Dieu qui fait du bien à tous et à chacun ?

Si oui, alors nous aurons tout juste assez des jours de notre vie pour apprendre, animés par l’Esprit Saint, à être fils et filles dans le Fils, miséricordieux comme le Père, à lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder