Serviteurs de la rencontre

Serviteurs de la rencontre

Frères et sœurs, en temps normal, le psaume de la messe consonne avec la première lecture et lui répond. Aujourd’hui, vous l’avez peut-être noté, ce n’est pas si évident.

Dans la première lecture, il est question de Job, cet homme juste et pieux mis à l’épreuve par le Seigneur. Nous connaissons l’histoire : Job perd ses biens, ses enfants, et jusqu’à sa santé, au point d’en arriver aux portes du désespoir. La lecture d’aujourd’hui est très sombre : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre… depuis des mois je n’ai en partage que le néant, je ne compte que des nuits de souffrance… Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s’achèvent faute de fil… mes yeux ne verront plus le bonheur. »

Il n’est pas impossible que notre prochain, le Français du XXIe siècle, partage tout ou partie de cette vision du monde. « Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s’achèvent faute de fil », se plaint Job. Puisque tout doit s’achever après seulement quelques dizaines d’années passées sur cette terre, à quoi bon tout ça ? De là le refus massif de mettre au monde des enfants en Europe : pourquoi les jeter dans un monde dépourvu de sens où ils connaîtront probablement plus de peines que de joies ?

Après cette lecture bien sombre, le psaume paraît presque déplacé : « Alléluia ! Il est bon de fêter notre Dieu, il est beau de chanter sa louange : il guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures. » Nous avons d’un côté des Job, des personnes abattues, sans espérance, sans désir de transmettre la vie reçue, des cœurs brisés, et de l’autre côté nous avons notre Dieu qui guérit les cœurs brisés, un Dieu qui ne peut que donner son amour : comment les faire se rencontrer ?

À la lecture de l’Évangile, on est frappé par tous ces acteurs de l’ombre : on parle à Jésus de la malade, la belle-mère de Pierre alitée avec la fièvre ; le soir venu, on amène à lui toutes sortes de personnes malades et possédées par des démons ; enfin, le lendemain dès l’aube, tout le monde se met à sa recherche. Ces trois attitudes dessinent un chemin de réponse à notre question : comment faire se rencontrer tous les Job au cœur brisé et le Dieu qui guérit les cœurs brisés ?

La première attitude consiste donc à parler à Jésus de ceux et celles qui souffrent, comme on l’a fait pour la belle-mère de Pierre. C’est l’attitude fondamentale de la prière et de l’intercession : comme baptisés, nous avons la belle mission de prier pour le monde entier, tout particulièrement pour ceux et celles qui ne prient pas. Le chemin que prend le Seigneur pour rencontrer nos prochains passe par nous.

La deuxième attitude est celle de tous ces anonymes qui amènent à Jésus les malades, les possédés, tous ces affligés qui seraient restés loin de Jésus sans eux. À nous aussi d’être comme ces personnes : oui, il y a autour de nous des personnes qui souffrent dans leur corps et dans leur âme, des personnes affligées, entravées, désespérées, qui ont besoin que nous les amenions à celui qui nous fait vivre.

Tout cela se fait toujours dans une attitude de recherche, comme celle de Simon et des disciples. Même baptisés, nous restons des cœurs brisés qui avons besoin d’être guéris, de toujours chercher Jésus.

Prier et intercéder, amener nos prochains à Jésus, le chercher avec persévérance : trois attitudes fondamentales qui s’enracinent dans notre baptême et que nous avons à incarner concrètement comme prêtres, diacres, parents, catéchistes, visiteurs de malades, etc. Evangéliser, c’est être serviteurs de cette rencontre.

Autant dire, frères et sœurs, que, pour nous chrétiens, l’annonce de l’Évangile n’est pas facultative, ainsi que le pape François nous le rappelle inlassablement.

Autour de nous, des cœurs brisés crèvent de ne pas connaître Jésus : « Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns », écrivait Paul. Il s’agit de rien de moins que de « sauver » nos prochains, c’est-à-dire de faire notre possible pour qu’ils rencontrent le Seigneur. Je le redis avec insistance : des cœurs brisés et désespérés ont besoin de rencontrer le seul et unique vrai Dieu, le Père de Jésus. Ni le dieu de l’islam, ni les sagesses de l’orient, ni les technologies de l’occident ne sauveront jamais personne, mais seulement Dieu notre Père.

Annoncer l’Évangile n’est pas facultatif. Le cri de Paul devrait être celui de tout chrétien,  comme nous le redit le pape François : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » Comment pouvons-nous comprendre ce « Malheur à moi » ?

Il ne s’agit évidemment pas d’un Dieu qui nous punirait si nous n’atteignions pas nos objectifs d’évangélisation. En réalité, c’est plus profond que cela : si je n’évangélise pas, si je n’ai pas le souci de faire rencontrer le Seigneur à mon prochain, c’est qu’en fait je n’ai rien compris, c’est au final que je n’ai moi pas encore vraiment rencontré le Seigneur moi-même.

Si je n’annonce pas l’Évangile, c’est que je n’ai pas compris que je suis un malade, un possédé, un cœur brisé qui a plus besoin de Dieu que de l’air que je respire ; c’est que, quelque part, je me prends encore pour un honnête homme qui s’acquitte de sa religion comme on s’acquitte de ses impôts.

Si je n’annonce pas l’Évangile, c’est que je n’ai pas compris que tout homme, toute femme, est un cœur brisé qui n’attend que moi pour être conduit à Jésus : c’est que je n’ai pas compris qu’il est le seul Sauveur, le seul qui prend nos souffrances et porte nos maladies.

Frères et sœurs, soyons comme ces anonymes de l’Évangile qui cherchent Jésus, qui lui parlent des souffrants, qui les amènent à lui ; soyons ceux par qui le besoin que Dieu a de donner son amour rejoint le besoin d’amour des cœurs brisés qui nous entourent.
Bonheur à nous si nous annonçons l’Évangile !

Alexandre-Marie Valder, prêtre