Soyons sages, les enfants

Soyons sages, les enfants

Soyons sages, les enfants

Frères et sœurs, je pars des premiers mots des lectures. « J’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres. » Mais de quelle sagesse parle-t-on exactement ?

Voici le premier de trois avertissements. Attention à ne pas confondre la sagesse biblique avec nos représentations de la sagesse inspirées de l’Orient : il ne s’agit pas ici d’être établi pour de bon dans un état de passivité, de non-agir, de non-pensée. La béatitude au sens chrétien n’est absolument pas passive. Rassurez-vous : au Ciel, on ne s’ennuiera pas.

Le sage de la Bible est appelé un juste, c’est-à-dire quelqu’un qui agit de manière ajustée à Dieu, à lui-même, aux autres et à toute créature. La sagesse biblique est une sagesse pratique et relationnelle, une sagesse filiale, une sagesse d’enfant. La sagesse authentique se confond avec la sainteté à laquelle chacun est appelé.

La sagesse authentique se forme en la personne qui se laisse interpeller par la parole que Dieu lui adresse. En effet, nous dit la lettre aux Hébreux, « elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants. »

Chrétiens, disciples du Seigneur Jésus, fils et filles de Dieu, que la parole de Dieu soit notre nourriture quotidienne. Accueillons-la pour elle-même, lisons-la, goûtons-la, savourons-la. Dieu ne nous parle pas d’abord pour nous donner des ordres ou pour en retirer quelque chose. Il nous parle pour l’amour de nous. Nous l’écoutons et lui répondons par amour de lui.

Toutefois, s’exposer à la parole de Dieu ne nous laisse pas indemnes. « Elle juge des intentions et des pensées du cœur. Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes. »

Attention – et c’est là le deuxième avertissement –  : lorsque nous entendons parler de « rendre des comptes » à la parole de Dieu, nous aurions envie de sauter directement à l’étape de la morale, de l’agir chrétien, tout comme l’homme de l’évangile : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »

Pas trop vite ! Quel dommage que tant d’hommes et de femmes, y compris des baptisés, réduisent trop souvent la foi chrétienne à une morale. « Fais pas ci, fais pas ça. J’ai droit, j’ai pas droit ? » Et lorsqu’on réduit la foi chrétienne à une morale, on ne tarde pas à en évacuer le Seigneur : « Je ne tue pas, je ne couche pas, je ne vole pas, je ne mens pas. Je sais ce qu’il ne faut pas faire. Ai-je encore besoin de la parole et des sacrements ? Ai-je encore besoin de Dieu ? Mes voisins, mes proches, mes enfants, sont déjà gentils. Ils ne tuent pas, ne couchent pas, ne volent pas, ne mentent pas. À quoi bon leur parler de Jésus ? »

Je réponds à cette question par une autre : le Seigneur Jésus est-il venu pour nous apprendre à être gentils ou bien pour nous ouvrir le Royaume de Dieu ? Être gentils, nous y arrivons assez bien tout seuls. Entrer dans le Royaume de Dieu, c’est une autre paire de manches.

Ainsi, ne passons pas trop rapidement de l’écoute de la parole à la pratique morale. Pensons qu’à la messe, entre la liturgie de la parole et l’envoi dans le monde, il y a l’eucharistie. Il faut en passer par la rencontre du Christ présent pour que notre vie porte vraiment du fruit. Dans la tradition latine, nous échangeons la paix du Christ après la consécration : c’est le Christ mort et ressuscité, vivant au milieu de nous, et lui seul, qui nous permet de vivre vraiment en paix entre nous et avec les autres, qui nous permet d’être des fils et des filles de Dieu.

Interpellés par la parole de Dieu, faisons comme cet homme de l’évangile : accourons aux genoux du Seigneur Jésus par la prière, par les sacrements, l’eucharistie, la confession.  Et que se passe-t-il ? « Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. » Laissons-nous aimer par Jésus, accueillir par Jésus, porter, emporter par Jésus. Laisse-le te prendre dans sa mort et sa résurrection. Sans cette rencontre sacramentelle avec le Seigneur, te voilà seul pour entrer dans le Royaume de Dieu avec tes propres forces, tes propres richesses et la tâche est impossible. « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »

Cependant – et voici le troisième avertissement – attention : Dieu n’est pas un moyen au service de notre idéal de vie, un moyen pour atteindre la perfection dont nous rêvons pour nous. Celui ou celle qui a écouté la parole du Seigneur et l’a rencontré dans la vie sacramentelle est invité à tout quitter pour le suivre. C’est là seulement que réside une vie morale authentiquement chrétienne : non pas « fais pas ci, fais pas ça » mais « quitte tout, puis viens, suis-moi » ; non pas une liste d’interdits et d’obligations, mais un chemin de bonheur authentique et profond.

« Rejetez-vous le péché ? Je le rejette. Croyez-vous en Dieu ? Je crois. » C’est la dynamique du baptême que nous avons reçu : mourir au péché et vivre pour Dieu. Nous avons renouvelé cet engagement à notre profession de foi, à notre confirmation, et chaque année à la vigile pascale.

Pour l’amour du Seigneur Jésus, nous nous efforçons de nous détacher du péché et de tout ce qui y conduit, de tout ce qui nous empêche d’être, non pas des gens parfaits, non pas des bouddhas impassibles – c’était le premier avertissement – mais des justes, des hommes et des femmes qui agissent de manière ajustée à Dieu, à nous-même, aux autres et à toute créature. Par exemple, la prière chrétienne, ce n’est pas penser à rien, c’est revenir constamment à la pensée de Dieu. L’agir chrétien, ce n’est pas être impeccable, c’est accepter de tomber et de se laisser relever par Dieu.

Cela ne se fait jamais sans la grâce que Dieu accorde, en particulier dans les sacrements – c’était le deuxième avertissement. Se mettre à l’école de la vie sacramentelle, c’est se mettre dans une disposition d’humilité, d’accueil, de dépendance, une attitude de fils et de filles, une attitude d’enfants.

Alors, soyons sages, les enfants.

Père Alexandre-Marie Valder