Un seul médiateur entre Dieu et les hommes : le Christ Jésus

Un seul médiateur entre Dieu et les hommes : le Christ Jésus

Un seul médiateur entre Dieu et les hommes : le Christ Jésus

Frères et sœurs, la liturgie de la parole d’aujourd’hui s’est ouverte avec une lecture du livre de la Sagesse, le plus récent des livres de l’Ancien Testament, écrit en grec, et non en hébreu, à Alexandrie, cinquante ans avant le Christ. À Alexandrie vivaient des Juifs hellénisés qui expérimentaient une tension entre deux cultures ; d’une part leur héritage juif, avec l’attachement à l’Alliance, à la Loi, au Temple et aux fêtes, d’autre part leur enracinement dans la langue et la culture des Grecs païens.

Cette tension entre deux cultures a porté du fruit : c’est en effet grâce aux Juifs de culture grecque que l’Ancien Testament a été traduit en grec, que la pensée grecque a nourri la recherche religieuse d’Israël et que les païens ont entendu parler du Dieu unique, préparant le terrain ainsi pour les apôtres un siècle plus tard.

Toutefois, la double fidélité avait aussi ses revers : comment concilier tradition et adaptation ? Fallait-il se préserver de toute contamination par le polythéisme grec, au risque de verser dans le sectarisme, ou bien fallait-il faire des compromis avec la foi juive, au risque d’être infidèles à l’Alliance ? Pour les Juifs qui optaient pour la dilution avec le paganisme ambiant, ceux qui restaient attachés à l’Alliance étaient de vivants reproches qu’il voulaient faire taire par la force : « Attirons le juste dans un piège, car il nous contrarie… il nous reproche de désobéir à la loi de Dieu et nous accuse d’infidélités à notre éducation. Si le juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera. Soumettons-le à des outrages et à des tourments ; nous saurons ce que vaut sa douceur. »

Le livre de la Sagesse témoigne donc de la difficulté à vivre entre deux fidélités, difficulté qui me semble pleinement d’actualité. Cette tension crucifiante ne concerne pas que les personnes immigrées, comme par exemple nos frères chrétiens d’Orient, ou bien les musulmans et les bouddhistes. Les anciens parmi nous ont été témoins d’un véritable bouleversement au cours de leur vie, analogue à celui que peuvent vivre des personnes déplacées géographiquement, sauf que ce n’est pas l’Église qui a été transplantée, c’est le climat qui a changé autour d’elle, comme pour nos forêts vosgiennes qui confrontées au dérèglement climatique.

 Nous, chrétiens catholiques en France, expérimentons également la tension crucifiante entre l’attachement au Dieu révélé en Jésus-Christ et l’attachement à l’immense majorité de nos voisins qui ne partagent pas notre foi. Il en résulte naturellement des conflits entre les chrétiens partisans de l’isolement et ceux qui optent pour la dilution, avec bien sûr tous les intermédiaires possibles. Nous l’expérimentons à l’échelle de la paroisse, du diocèse, et aussi des pays. En France, nous avons connu le schisme de Mgr Lefebvre en 1988 tandis qu’aujourd’hui, en Belgique et en Allemagne, beaucoup de catholiques sont à la remorque de la société et courent ainsi le risque de rompre la communion avec l’Église.

Après ce détour pédagogique, j’en arrive à l’Évangile. Cette tension crucifiante entre le Ciel et la terre, entre Dieu et le monde, n’est pas mauvaise en soi. Le Seigneur Jésus l’a lui-même expérimentée et portée au long de sa vie terrestre, et il continue de le faire jusqu’à la consommation de l’histoire.

Il n’y a, écrit saint Paul à Timothée, « qu’un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus (1Tm 2,5). » Le Seigneur Jésus est le Médiateur entre le Père et la création. Il unit en sa personne la divinité et l’humanité. Pleinement Dieu, il ne renie rien de son attachement au Père, il n’édulcore rien de ce qu’il est, ce qui lui permet d’affirmer : « Celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. » Pleinement homme, il ne renie rien non plus de son attachement à ceux à qui il est envoyé. Il est « livré aux mains des hommes » et en assume les conséquences ultimes : l’incompréhension des disciples, le rejet des autorités, l’arrestation, la torture, la mort, l’ensevelissement.

Il y a tout cela dans la croix de Jésus : le lien vertical qu’il préserve quoi qu’il lui en coûte entre Dieu et sa création, le lien horizontal aussi entre les humains que toutes sortes de jalousies et de rivalités peuvent déchirer. La croix, c’est l’assurance que le Seigneur Jésus ne prend jamais le parti de Dieu contre ses créatures, ni le parti des créatures contre Dieu. La croix, c’est l’assurance qu’on ne se rapproche pas de Dieu en se séparant des hommes, ni en opposant les hommes les uns aux autres.

 La personne de Jésus, sa chair, et tout spécialement son Sacré-Cœur, sont comparés au goulot d’un sablier. Tout ce qui vient de Dieu, qui éclaire, guérit, sauve et sanctifie la création, passe par lui, et ce n’est qu’en passant par lui que la création tout entière est, en retour, élevée et assumée en Dieu, sans pour autant se perdre ni se dissoudre en lui.

L’Église que nous sommes est le corps du Christ, le point de rencontre entre Dieu et sa création. Par notre baptême et notre confirmation avant tout, mais aussi par le mariage, l’ordination ou l’engagement religieux, nous participons à la mission du Seigneur Jésus, le médiateur de l’Alliance nouvelle et éternelle. Comme lui, comme les Juifs d’Alexandrie il y a 2000 ans, nous vivons souvent une tension crucifiante, mais féconde parce que crucifiante, entre notre attachement à Dieu et notre attachement à nos proches éloignés de lui.

Ici et maintenant, Dieu veut passer par nous pour toucher le monde ; Dieu veut que le monde passe par nous pour passer en lui. En adorant le Père en esprit et vérité, en célébrant le culte du Seigneur, nous manifestons la présence du Dieu trinitaire. En écoutant et en partageant la parole, nous témoignons de la bonne nouvelle qui concerne tout homme et toute femme. Enfin, en servant par amour, en accueillant au nom de Jésus les petits qu’il met sur notre route, nous prêtons nos mains à Dieu lui-même, à lui le règne, la puissance et la gloire, pour les siècles des siècles. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder