Veille sur ta parole. Veille sur ton silence.

Veille sur ta parole. Veille sur ton silence.

Veille sur ta parole. Veille sur ton silence.

« Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors qu’on pourra le juger. » Et ensuite : « Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil”, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? » Et enfin : « Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »

Qu’il est redoutable de parler, de dire quelque chose après avoir entendu cela. Toutefois, contrairement aux criminels des séries américaines, je n’ai pas le droit de garder le silence. J’ai le devoir de faire résonner la parole de Dieu que nous avons entendue.

Avant toute chose, c’est la parole de Dieu elle-même qui fait résonner la parole de Dieu. On interprète la Bible par la Bible. Dans la liturgie de la parole de la messe, le psaume est là pour répondre à la première lecture. Prêtons attention aux mots qui nous sont donnés aujourd’hui en écho au livre de Ben Sira : « Qu’il est bon de rendre grâce au Seigneur, de chanter pour ton Nom, Dieu Très-Haut, d’annoncer dès le matin ton amour, ta fidélité, au long des nuits ! »

En effet, le Seigneur a parlé le premier ;  il a révélé son Nom ; il a fait connaître son amour et sa fidélité. Le Seigneur notre Dieu est un Dieu qui parle. Il n’est pas comme les idoles muettes des païens d’hier et d’aujourd’hui. Notre Dieu parle, de la première à la dernière page de la Bible, du commencement à la fin de l’histoire, de toujours à toujours. De toute éternité, le Père engendre sa Parole, son Verbe, son Fils. Dieu est éternellement parlant, éternellement parole. C’est uniquement grâce à cela que nous les humains pouvons le connaître et lui répondre, rendre grâce au Seigneur, chanter pour son Nom, annoncer son amour et sa fidélité.

Mais pourquoi Dieu parle-t-il ? Il parle pour s’exprimer, pour se révéler, afin que nous le connaissions. Jésus le Fils fait connaître le Père, et l’Esprit fait connaître l’un et l’autre. En effet, « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » Nous pouvons avoir l’intuition de cela en considérant ces personnes que, selon l’expression, « on gagne à connaître ». Il y a des personnes qui nous rendent meilleurs, dont l’influence nous apporte un surcroît de vie. Combien plus pour le seul vrai Dieu !

On gagne à connaître Dieu qui se donne à connaître à nous par sa Parole, son Verbe incarné. Comme le chante notre psaume : « Le Seigneur est droit, pas de ruse en Dieu, mon rocher. » En Dieu, il n’y a ni mensonge, ni duplicité, ni hypocrisie : ce qu’il dit égale ce qu’il montre, égale ce qu’il donne, égale ce qu’il est.

Nous, les hommes et les femmes, sommes à l’image du seul et unique vrai Dieu : des êtres de parole. En parlant, nous nous exprimons, nous montrons ce que nous avons dans le cœur, nous donnons quelque chose de ce que nous sommes.

Une personne sage m’a dit un jour que, lorsqu’on se trouve avec d’autres personnes, il faut faire attention à ne pas trop parler, sinon on ne laisse pas de place aux autres pour s’exprimer. Toutefois, a-t-elle poursuivi, ne pas parler suffisamment peut aussi mettre les autres mal à l’aise, car si nous ne parlons pas, comment peuvent-ils savoir ce que nous pensons, qui nous sommes ?

Puisque Dieu parle, parlons, nous aussi. La question est moins de savoir ce que nous disons que ce que nous faisons du don de la parole. Parler comme Dieu parle, c’est employer le don de la parole à la manière de Dieu, dans la mesure de nos forces. Voici pêle-mêle quelques bons usages du don de la parole. Je laisserai la liste des mauvais usages à votre imagination et à votre conversion.

Au moyen de la parole, nous chantons et nous louons, nous bénissons et nous rendons grâce, en nous redisant ce que nous croyons, nous nous évangélisons nous-mêmes, nous annonçons et nous enseignons, nous conseillons, nous réconfortons et nous avertissons, nous témoignons et nous attestons, nous consolons, nous complimentons, nous valorisons, nous encourageons et j’en passe.

Dans quelques instants – je vous en donne ma parole – je vais me taire. Parole et silence ne s’opposent pas.

À la fin de cette homélie, nous marquerons un temps de silence qui permettra à la parole de poursuivre sa résonance dans le cœur de chacun de nous. Dans sa lettre Desiderio desideravi, le pape François rappelle l’importance du silence dans les célébrations chrétiennes. Trop souvent, nos messes commencent au milieu du bruit, alors qu’elles devraient comme émerger du silence. Le silence initial signifie alors notre disponibilité à accueillir la parole qui va se faire entendre. Nous le faisons pour un concert ou une pièce de théâtre. Pourquoi est-ce si difficile pour la messe ?

Après la parole, le silence s’installe à nouveau, car ce que Dieu a à dire surpasse ce que nos mots peuvent exprimer. C’est l’Esprit Saint qui parle à chacun cœur à cœur. En effet, écrit le pape François, « le silence liturgique… est le symbole de la présence et de l’action de l’Esprit Saint qui anime toute l’action de la célébration ».

Dans la liturgie latine, le silence souligne les moments les plus importants de la célébration. Attention à ne pas le vivre comme une bulle intime dans laquelle on se réfugie, les yeux fermés, aussi détaché que possible des rites liturgiques et de ses voisins. C’est un danger qui peut guetter les plus jeunes. Le silence liturgique est un silence d’attention. Puisqu’il est symbole de l’Esprit Saint, il ne nous enferme pas en nous-mêmes. Un tel silence nous parle de Dieu et nous tourne vers les frères et sœurs qui célèbrent avec nous.

Parole et silence ne s’opposent pas. Ils ont besoin l’un de l’autre. Le silence ouvre un espace où la parole peut être prononcée et entendue, et la parole donne au silence qui la suit toute sa densité, sa couleur, sa tonalité. Parole et silence ont en commun le même prédateur : le bruit qui tend à envahir tout l’espace de notre attention.

Frères et sœurs, et si le carême qui va s’ouvrir était l’occasion de prendre soin de ces deux dons de Dieu, la parole et le silence ?

Père Alexandre-Marie Valder