Vrai Roi parce que vrai Fils
Vrai Roi parce que vrai Fils
Frères et sœurs, les lectures de ce dimanche s’ouvrent avec l’acte généreux de cet homme de Baal-Shalisha. En apportant les premiers fruits de la récolte au prophète Elisée, c’est en fait à Dieu qu’il les apporte. Il reconnaît ainsi que ces pains et ce grain, fruits de la terre et du travail des hommes, viennent d’abord de Dieu lui-même. Dieu a fait grâce, et l’homme rend grâce. C’est le sens de notre mot « eucharistie ».
Dans leur prière quotidienne, Israël et l’Église s’adressent au Seigneur, source de tous les biens. C’est le cas par exemple avec le psaume de ce dimanche, que l’on chante deux fois par mois dans la liturgie des heures : « Les yeux sur toi, tous, ils espèrent : tu leur donnes la nourriture au temps voulu ; tu ouvres ta main : tu rassasies avec bonté tout ce qui vit. Le Seigneur est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu’il fait. Il est proche de tous ceux qui l’invoquent, de tous ceux qui l’invoquent en vérité. »
Ce psaume, et bien d’autres paroles de la Bible, expriment la confiance envers le Dieu Père qui n’abandonne pas ses enfants. Il devait connaître le psaume et l’histoire du prophète Elisée, ce jeune garçon plein de confiance filiale qui apporta à l’apôtre André cinq pains et deux poissons pour qu’il les donne au Seigneur Jésus. Notre Père qui donne la nourriture au temps voulu ne saurait laisser ses enfants démunis. Et le miracle s’accomplit : tous mangèrent à leur faim.
Faisons un pas de plus. Dieu notre Père est le Créateur de tous ce qui existe, le Donateur de tout bien. De lui viennent tous les biens temporels, mais aussi les biens éternels. Tout père qui se respecte donne ce qu’il a de meilleur à ses enfants. Comme le dit le Seigneur Jésus par ailleurs : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent (Lc 11,13) ! » Le pain quotidien qui soutient nos forces en cette vie renvoie au pain véritable qui est la chair du Fils de Dieu et qui donne la vie éternelle.
Durant son ministère public, le Seigneur Jésus a nourri les foules, guéri les malades et même ressuscité les morts, autant d’actes de puissance au service de sa véritable mission : faire connaître la miséricorde infinie du Père, faire voir, entendre, sentir, toucher, goûter cette miséricorde, mettre toute personne en relation avec le cœur du Père afin qu’elle puisse vivre de la vie même de Dieu. « Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance (Jn 10,10). »
Les miracles du Seigneur Jésus pour quelques uns sont des signes d’espérance pour tous : celui qui une fois a nourri à leur faim cinq mille hommes est le même qui vient donner à tous la vie éternelle en plénitude ; celui qui a guéri quelques malades est le même qui vient restaurer le corps de tous les hommes et femmes ; celui qui a relevé de la mort la fille de Jaïre, le fils de la veuve de Naïm et Lazare est le même qui vient faire disparaître la mort pour toujours.
À la suite du Seigneur Jésus, les chrétiens continuent à être signes tangibles de la miséricorde du Père en pratiquant à leur mesure les quatorze œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles chères au pape François.
Ces œuvres ne sont pas une ruse qui servirait de prétexte à l’annonce de l’Évangile : elles sont déjà en elles-mêmes annonce efficace de l’Évangile, proclamation concrète d’un Dieu Père qui aime inconditionnellement et qui prend soin, proclamation de la dignité infinie de toute personne humaine. En même temps, ces œuvres ne doivent pas non plus se refermer sur elles-mêmes, sans quoi l’Église ne sera plus qu’une ONG, comme le regrettait le pape François au début de son pontificat. Nous chrétiens, nous nous efforçons de faire du bien à tous, sans jamais oublier que nous sommes d’abord envoyés pour mettre en relation chacun avec Dieu notre Père. Donner du pain n’est pas une fin en soi.
C’est probablement pour cela que le Seigneur Jésus, après l’épisode raconté ce matin, se retire avant que les gens ne l’enlèvent pour faire de lui leur roi. À ce moment, on ne voit en lui qu’un homme providentiel, un pourvoyeur de biens matériels, et non pas le médiateur entre Dieu et les hommes, un Fils qui les tourne vers le Père.
Ailleurs dans l’Évangile de Jean, le Seigneur Jésus accepte le titre de roi. Lors de sa rencontre avec le futur apôtre Nathanaël : « Rabbi, c’est toi le Fils de Dieu ! C’est toi le roi d’Israël (Jn 1,49) ! »; et aussi à son entrée à Jérusalem : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le roi d’Israël (Jn 12,13)! » et enfin sur la croix : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs (Jn 19,19). » À ces moments-là, aucun risque que l’on se trompe : Jésus est un Fils envoyé par le Père.
Toutes les utopies mortifères, tous les totalitarismes d’hier et d’aujourd’hui, ont ceci en commun d’apporter le royaume de Dieu, mais sans Dieu, le Dieu véritable, « un seul Dieu et Père de tous », comme le disait saint Paul dans la lecture.
Saint Vincent de Paul et sainte Teresa de Calcutta, parmi bien d’autres, furent des géants de la charité qui n’oubliaient jamais de donner la priorité au Seigneur et de renvoyer à lui, quitte à froisser. Pensons à la diatribe de mère Teresa contre l’avortement lors de la réception de son prix Nobel. Je pense aussi à ce prêtre à la tête d’une œuvre caritative, à qui l’Etat menaçait de retirer ses subventions s’il conservait la statue de la Vierge Marie dans son local. Il a tenu bon, plutôt que de renier le Père au nom de qui il agissait.
Parmi mes proches, combien s’étonnent : « Tu veux te mettre au service des autres, parfait ; mais pourquoi le célibat ? pourquoi la sobriété de vie ? pourquoi la prière et la messe quotidiennes ? » Parce que tout se tient : parce que, comme disciples du Seigneur Jésus, chacun pour sa part, nous sommes les membres du Christ, prêtres, prophètes et rois par notre baptême et notre confirmation, mais uniquement dans la mesure où nous restons des fils et des filles de notre Père, lui qui règne avec son Fils et l’Esprit Saint, pour les siècles des siècles. Amen.