Homélie du 30 mai 2021
« Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. » A propos de quoi les disciples de Jésus ont-ils donc des doutes ? A propos de son existence ? Non, bien sûr. A propos de son humanité ? Pas davantage : ils ont passé tant de temps avec lui, et ils l’ont vu souffrir et mourir. A propos de sa Résurrection peut-être ? Mais non, puisqu’il est justement là, vivant, sous leurs yeux.
« Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. » Ils se prosternent pour adorer, et en même temps ils se demandent s’ils ont bien raison de faire ainsi. En bon juifs, ils savent bien que c’est Dieu, et Dieu seul, que l’on doit adorer. Ce dont les disciples doutent, dans l’Évangile qui nous est donné aujourd’hui, n’est-ce pas tout simplement de la divinité de Jésus ?
Sa divinité pourtant, Jésus n’a pas craint de l’affirmer au cours de son ministère public. Il l’a fait par la parole, comme par exemple en félicitant Pierre qui l’avait appelé « Le Christ, le Fils du Dieu vivant », ou en la confessant devant le grand prêtre au moment de son procès. Il l’a fait surtout par ses actes, en consolant les affligés, en expulsant les démons, en guérissant les malades, en ressuscitant les morts, et surtout en pardonnant les péchés, ce que seul Dieu peut faire. Plus important que tout, si Jésus avait été un menteur, sa mort aurait mis fin à son imposture ; au contraire, en se montrant vivant à ses disciples, il atteste que le Père lui rend témoignage.
En même temps, les disciples connaissent, comme nous et même mieux que nous, cette parole du Deutéronome que nous venons d’entendre : « C’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. » Alors, Jésus est-il Dieu ou non ?
C’est bien à cette question muette que Jésus répond par ces mots : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » : s’il y a bien une prérogative de Dieu, c’est d’être tout-puissant. Si donc Jésus a reçu tout pouvoir au ciel et sur la terre, c’est bien qu’il est Dieu. Jésus dit aussi : « Je suis avec vous ». « Je suis », nous le savons bien, est le nom par lequel le Seigneur se fait connaître à Moïse dans le buisson ardent. Ceux qui partagent en groupe sur l’Évangile de Jean savent également que Jésus se désigne souvent par ces mêmes mots. Ces mots, « Je suis avec vous », renvoient à un psaume que les auditeurs de Jésus connaissent bien, un psaume où l’on chante « Il est avec nous, le Seigneur de l’univers ! Citadelle pour nous, le Dieu de Jacob ! ».
Si seulement nous pouvions tous sortir de l’église ce matin avec la certitude que le dogme de la Trinité n’est pas un absurde problème de mathématique divine, mais la merveilleuse révélation de la vie intime de Dieu ; qu’elle n’est pas un casse-tête pour érudits, mais une raison de nous réjouir !
Jésus n’explique pas : il donne un mystère à contempler et une mission à accomplir. Ce qui est demandé aux disciples – à nous – c’est d’entrer dans un mystère qui ne cessera jamais de nous étonner et de nous émerveiller. Célébrer le mystère de la Trinité aujourd’hui, c’est nous réjouir que Dieu nous révèle sa vie intime et nous y fasse entrer. Que Dieu existe et qu’il n’y ait d’autre que lui, personne ne peut l’ignorer s’il se met honnêtement à la recherche de la vérité. Mais connaître qui est Dieu ! Nous imaginer dans la peau des petits-enfants du président des États-Unis, jouant avec lui et sautant sur ses genoux, pourrait nous donner une vague idée de ce que signifie pour nous d’être, selon les mots de saint Paul, « non plus esclaves, mais fils ».
Ne nous étonnons pas si cela ne va pas de soi ! Disons-le sans fard : notre monde refuse cela en bloc. Aux yeux de nos frères juifs, Dieu est le tout-autre, celui qu’on n’ose pas nommer. Dans l’islam, le seul fait d’imaginer Dieu confine au blasphème, combien plus lorsque nous chrétiens prétendons le connaître et communier à sa propre vie ! Quant à la plupart de nos contemporains, s’ils s’accommodent sans peine d’une divinité lointaine, indifférente et floue, ils se montrent prêts à lapider – du moins médiatiquement – celui ou celle qui confesserait un Dieu qui s’intéresse à nous et nous appelle à lui.
Frères et sœurs, ne rougissons pas de l’Évangile ! Dieu, l’Unique, le Tout-puissant, le Créateur du ciel et de la terre, est notre père. Ce n’est pas une image : il est davantage Père que Seigneur. Nous avons été baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; nous avons la joie de le croire ; nous avons la joie d’en vivre. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, au Dieu qui est, qui était et qui vient, pour les siècles des siècles. Amen.
Père Alexandre-Marie Valder