Le récit de la guérison de l’aveugle de naissance est l’un des évangiles qui ponctuent les derniers dimanches du Carême. En ce moment, nous célébrons les scrutins des catéchumènes qui seront baptisés à Pâques. Ceux qui se préparent à recevoir le baptême entendent dans ce récit quelque chose de leur propre parcours. En effet, il y est question d’une personne qui rencontre Jésus et qui se met à voir le monde tel qu’il est vraiment.

Pour nous qui sommes baptisés, enfants de lumière, disciples de Jésus, il est bon de réentendre ce texte en union avec ceux qui se préparent à devenir chrétiens. Le baptême que nous avons reçu une fois pour toutes ne nous dispense pas de choisir à nouveau Jésus chaque jour.

L’homme aveugle de naissance, ses parents et tous ceux qui le connaissent, ainsi que les pharisiens, tous ont bénéficié du même signe incontestable : Jésus a ouvert les yeux d’un aveugle de naissance. Tous ont bénéficié du signe, mais tous n’ont pas cru. L’homme guéri a reconnu Jésus comme un prophète, comme un envoyé de Dieu, comme le Fils de l’homme. Les autres, surtout les pharisiens, se sont cherché de « bonnes » raisons pour ne pas croire. Jésus a fait de la boue, ce qui est assimilé à un travail. Or Dieu a interdit de travailler le jour du sabbat. Donc Jésus n’est pas un envoyé de Dieu. « Circulez, y a rien à voir. »

Les pharisiens de l’évangile représentent l’attitude de celui qui a tout vu, celui qui sait à quoi s’en tenir, celui à qui on ne la fait pas. « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » répliquent-ils à l’homme guéri par Jésus. Cette même certitude orgueilleuse peut se retrouver chez les athées comme chez les croyants, y compris chez les chrétiens, bien entendu.

La foi véritable est bien différente. La foi rend humble, car le fidèle sait que son assurance  n’est pas fondée sur lui-même, sur sa propre intelligence, sur son propre talent, mais sur Dieu seul.

C’est en ce sens que l’on dit parfois que la foi est inséparable du doute. En toute rigueur, c’est faux. La foi est le contraire du doute, elle est la connaissance la plus sûre qui soit. Nous mettons notre foi en Dieu qui nous dit qui il est et qui nous sommes. Ce qui est vrai cependant, c’est que la foi va de pair avec la non-évidence, avec une forme de pauvreté et même de dépendance. Lorsque je possède un bien, une connaissance, un savoir-faire, cela m’appartient à moi, et j’en dispose comme je veux. La foi, au contraire, m’oblige toujours à m’en remettre à Dieu qui donne sa lumière et sa force.

On reconnaît donc la foi authentique à ce qu’elle rend humble. On la reconnaît aussi à ce qu’elle nous met en chemin.

Les parents de l’homme guéri par Jésus ont peur d’être rejetés par les notables juifs ; cette peur les paralyse, elle les empêche de se mettre en chemin avec leur fils et de rencontrer Jésus.

Les pharisiens non plus ne se mettent pas en chemin. Ils sont prisonniers de la certitude orgueilleuse. Ils savent à quoi s’en tenir ; ils n’ont pas besoin de se mettre à l’école de Jésus. Ils se disent les disciples de Moïse. Moïse, au contraire, était toujours attentif et docile à la parole de Dieu, toujours prêt à se laisser bousculer. Il en était de même du prophète Samuel : de lui-même, il aurait donné l’onction royale à l’aîné des huit fils de Jessé, mais il a fait confiance à Dieu qui lui désignait David.

La foi authentique s’oppose donc à la peur paralysante et à la certitude orgueilleuse.

La foi authentique nous fait agir, elle nous donne l’assurance pour nous mettre en chemin. « Maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière, nous dit saint Paul, conduisez-vous comme des enfants de lumière. » On pourrait aussi traduire : « Marchez comme des enfants de lumière. » Le baptême n’est pas quelque chose que nous pouvons mettre dans notre poche et sortir lorsque nous en avons besoin. Le baptême est d’abord une mission que nous avons reçue : avec Jésus et comme lui, travailler aux œuvres du Père. Et l’œuvre du Père, dit Jésus, c’est que vous croyiez en celui qu’Il a envoyé (Jn 6,29).

Tant qu’il vit en ce monde, le disciple de Jésus est toujours en chemin. Un chrétien ne peut pas ne pas être un chercheur de Dieu, quelqu’un qui essaie de trouver Dieu chaque jour, dans la prière silencieuse, dans la méditation de l’Écriture, dans la contemplation de la création, dans ses relations, dans son travail, dans sa vie de famille.

Il importe peu que nous soyons au début de notre vie chrétienne ou que nous soyons baptisés depuis trente, cinquante, soixante-quinze ans. Nous pouvons toujours reprendre le chemin ; nous pouvons le faire sans aucune crainte, car nous avons l’assurance que notre chemin mène vraiment quelque part. Il y a Quelqu’un qui nous appelle, Quelqu’un qui nous attend, Quelqu’un qui a préparé pour nous une table dans sa maison, comme nous l’avons entendu dans le psaume.

Et le psaume ajoutait encore ceci : ce Quelqu’un qui nous appelle et qui nous attend marche déjà avec nous sur le chemin. « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien… Il me mène vers les eaux tranquilles… il me conduit par le juste chemin… Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi. »

Seigneur Jésus, nous te prions pour nous tous ici rassemblés : ouvre nos yeux, fortifie notre foi, rends nous toujours plus assurés de ta présence auprès de nous, et viens à la rencontre de ceux qui te cherchent dans l’obscurité. Amen.

Père Alexandre-Marie Valder