Homélie du 26 septembre
Au désert, le Seigneur a pris une part de l’esprit qui reposait sur Moïse pour le mettre sur les anciens du peuple. Pourquoi a-t-il fait ? Parce que Moïse s’était plaint au Seigneur de ne pouvoir accomplir seul la mission qui lui était confiée. Quelle était donc cette mission ? Celle de conduire le peuple de Dieu depuis la servitude d’Égypte jusqu’à la terre promise, le mener toujours en avant, en dépit de l’inertie du peuple qui ne pense qu’à demeurer sur place, voire même à retourner en arrière.
Le peuple de Dieu est par nature un peuple voyageur, un peuple pèlerin. Parce que le Seigneur est le Dieu vivant, et non pas une idole, il ne demeure pas statique. Par conséquent, rester fidèle à l’Alliance implique d’être toujours en route. « Toujours en route, jamais déracinés », selon le mot de sainte Ursula Ledochowska, popularisé par les frères de Taizé. Même lorsque le peuple d’Israël se sera sédentarisé, les années resteront rythmées par les trois grands pèlerinages annuels : Pessah, Chavouot et Souccot. Trois fois par an, les Israélites montent à Jérusalem se présenter devant le Seigneur. Trois fois par an, il faut se mettre en route pour re-choisir d’adhérer à l’Alliance.
Au désert, Moïse portait seul cette responsabilité d’empêcher Israël de se scléroser. Lorsque l’esprit fut donné aux soixante-dix anciens, Moïse s’écria : « Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux ! » C’est bien ce que le Seigneur a fait au jour de la Pentecôte. Désormais, tous ceux qui ont reçu en plénitude l’Esprit Saint lors de la Confirmation portent pour une part la responsabilité de faire de l’Église un peuple toujours en route, jamais déraciné, un peuple qui se convertit sans cesse au Seigneur. Belle mission que voici !
Chacun des baptisés porte en premier lieu le souci de sa propre conversion. Le meilleur service que je puisse rendre à l’Église, c’est de me convertir moi-même. Les lectures d’aujourd’hui nous mettent en garde contre trois péchés : la cupidité, la jalousie et l’orgueil.
« Vous avez amassé des richesses, alors que nous sommes dans les derniers jours ! » L’avantage avec la lettre de saint Jacques, c’est qu’elle se passe de long commentaires. Le langage est clair, direct. Ce que nous espérons du Seigneur notre Dieu, ce n’est pas un bien-être temporel, mais la vie éternelle. Nous n’avons rien apporté en naissant et, en mourant, nous n’emporterons rien, sinon le bien que nous aurons pu faire au moyen des richesses que le Seigneur nous a données. Ceux qui ont marché sur les chemins de Saint-Jacques le savent bien : pour avancer, il faut s’alléger. Voilà pour la cupidité, à présent la jalousie.
« Nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. » Jean est d’autant plus amer que, peu de temps auparavant, les disciples ont échoué à exorciser un enfant qui leur était présenté. Les boules… Jésus redresse le cap : la seule chose qui compte, c’est lui, Jésus. Celui qui agit en son nom, que ce soit pour expulser les démons ou offrir un verre d’eau, est de ses disciples, et c’est lui, le Seigneur, qui distribue toute grâce. Voilà pour la jalousie.
« Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil : qu’il n’ait sur moi aucune emprise. Alors je serai sans reproche, pur d’un grand péché. » Prier pour être préservé de l’orgueil est déjà un bel acte d’humilité. L’humilité, c’est de se considérer tel que l’on est, et non pas tel que l’on se rêve. Avancer avec humilité, c’est accepter de marcher au rythme qu’impose le Seigneur, de prendre l’itinéraire qu’il a choisi, pour aller là où ne pensions pas aller.
Rappelons-nous que tout est affaire d’avancer à la suite du Seigneur. La cupidité, la jalousie, l’orgueil et les autres péchés nous entravent dans cette marche. Pire encore ! à cause de nos péchés, nous pouvons faire trébucher les autres, surtout les plus petits. Si Jésus parle avec véhémence, et même avec violence, c’est que l’enjeu est de taille. Combien de gens prennent prétexte des péchés des chrétiens pour s’éloigner du Christ et de son Église !
Que faire alors ? En fait, tout est question de regard : regarder les biens du monde, c’est la cupidité ; regarder les autres, c’est la jalousie ; me regarder moi-même, c’est l’orgueil ; ou bien garder mon regard fixé sur Jésus. C’est vers lui que mon attention doit se tourner, vers sa Parole et son Eucharistie. Ce sont elles, la Parole et l’Eucharistie, qui sont à la fois notre nourriture pour la route et notre boussole. Si nous les recevons avec attention, elles nous obligent à une conversion permanente : la Parole nous avertit, nous encourage, nous bouscule ; et dans l’Eucharistie, c’est le Seigneur lui-même qui semble me dire : « Me voici tout entier pour toi aujourd’hui. Et toi, es-tu tout entier pour moi ? »