Nuit de Noël
« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière… » Goûtons ensemble cette image… fermons les yeux… imaginons ce peuple qui marche dans la nuit, sans savoir où il va, et qui voit enfin se lever la lumière qui lui indique la route à suivre.
Ce peuple, c’est nous.
Durant les quatre semaines de l’Avent, nous avons attendu que se lève la lumière. Nous avons vu nos rues et nos magasins étinceler de myriades d’ampoules colorées, oui, mais ce n’étaient que des lumières artificielles, des lumières qui clignotent mais qui n’éclairent pas, qui ne réchauffent pas, qui ne guident pas.
Lorsqu’on vit dans les ténèbres, lorsqu’on est perdu, qu’on n’a plus de repères, on ne sait pas de quel côté se diriger. Tout semble équivalent. Pourquoi plutôt à gauche qu’à droite ? Pourquoi avancer plutôt que rester ici, puisque tout est noir ? Et même – osons le dire ! — pourquoi faire le bien plutôt que le mal ? A quoi bon ?
Mais voici la lumière de Noël, une lumière qui nous attire vers elle, qui nous met en route.
Les bergers qui passaient la nuit dans les champs furent enveloppés par la lumière de la gloire du Seigneur, et l’ange leur désigna alors le signe qui devait les guider vers le Sauveur : un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.
Qu’ont fait les bergers ? L’Évangile lu ce soir ne nous le dit pas, mais nous le savons bien : ils se sont mis en route, ils ont trouvé l’enfant et ont reconnu en lui le Sauveur annoncé. A nous aussi, il est dit ce soir : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. » Et nous, est-ce que cette nouvelle nous met en route, ou bien est-ce qu’elle nous laisse de glace ?
Pourtant, les bergers auraient eux aussi eu bien des raisons de rester là où ils étaient. Ils avaient leurs troupeaux à garder. Qui allait protéger les moutons s’ils s’en allaient ? Et comment allait-on les recevoir à Bethléem, eux les bergers, les pauvres, considérés comme peu fréquentables à cause de leur travail ? Décidément, ils avaient bien mieux à faire que de chercher un nouveau-né dans une mangeoire. Comme nous. Et pourtant, ils se sont mis en route.
Le mystère de Noël que nous célébrons ce soir nous redit chaque année le même message étonnant : un jour donné, en un lieu donné, Dieu, le Créateur, le Tout-puissant, le maître des temps et de l’histoire, a touché notre humanité et il y a allumé un feu que rien ne devait plus jamais éteindre. Dans quelques mois, à Pâques, nous retrouverons Jésus, cerné, écrasé, submergé par les forces du mal, de la mort, des ténèbres, et pourtant victorieux par sa résurrection.
En cette nuit de Noël, Dieu allume un feu sur la terre, un feu discret mais ardent, comme une braise qui couve sous la cendre de notre humanité, prête à enflammer le monde. C’est ce que saint Paul écrit à son ami Tite : « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes… elle nous apprend à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété » dans l’attente de la venue du Seigneur.
Jésus, écrit saint Paul s’est donné pour nous afin de faire de nous un peuple ardent à faire le bien. La plupart d’entre nous ici sommes baptisés. Au jour de notre baptême, Dieu a déposé en notre cœur une braise ardente. Qu’en faisons-nous ? Cette braise peut allumer une belle flambée qui éclairera et réchauffera notre vie et celle de ceux qui nous entourent, ou bien elle peut rester endormie sous la cendre.
Où que nous en soyons, nous pouvons faire un pas de plus vers la lumière de Dieu, nous pouvons ajouter quelques brins de paille sur la braise de notre baptême, nous pouvons devenir un peuple ardent à faire le bien. Un jour, il y a 2000 ans, Dieu s’est fait homme, il est devenu semblable à nous pour nous prendre par la main et nous rendre semblables à lui.
Que faire ? Je vous propose trois idées.
Premièrement, nous avons entendu ce soir quelques phrases du début de l’Évangile selon saint Luc. Et si vous découvriez ou redécouvriez la suite ? Quelques versets par jour, pour réentendre ce que l’enfant Jésus né aujourd’hui a dit et fait.
Deuxièmement, en ce XXIe siècle, nous ne marchons pas dans les ténèbres, bien au contraire : nous sommes assailli par mille lumières, des lumières qui ne nous éclairent pas vraiment, qui ne nous réchauffent pas en profondeur. Posons-nous. La lumière du Seigneur, la seule qui a de la valeur, nous rejoint par toutes sortes de médiations : ce beau paysage, ce temps partagé en famille, cette amitié qui nous rend meilleurs, cet engagement associatif. Identifions ces reflets authentiques de la lumière de Dieu, astiquons amoureusement les miroirs qui nous la renvoient, et brisons sans regret les miroirs aux alouettes, tout ce qui nous détourne de ce qui compte vraiment. Sommes-nous prêts à faire ce tri sélectif ?
Et enfin, nous avons goûté ce soir quelques minutes de silence recueilli. Et si nous prenions goût au silence ? Trois, quatre, cinq minutes chaque jour… faire silence, écouter Dieu. Dieu est discret : si nos oreilles sont pleines de bruit, nous ne l’entendrons pas. Si au contraire nous nous astreignons à cette cure de silence, qui sait où cela nous mènera ?
Alexandre-Marie, prêtre