Devenons des gens pascals
L’Évangile de ce dimanche a beau être court, il est riche. Je souhaiterais mettre l’accent sur le début : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. » Écouter Jésus. Être connu par Jésus. Suivre Jésus.
Écouter, c’est le premier point. Être écoutés, nous faire entendre, nous en avons besoin. Les manifestations parfois violentes de ces dernières années l’illustrent, et aussi cette période d’élections. En Église également, nous avons récemment pu prendre part à l’assemblée paroissiale, à l’assemblée diocésaine, ainsi qu’à la démarche synodale convoquée par le pape François.
Être écouté, c’est important, et nous souffrons de ne pas l’être assez. Cela vaut aussi avec le Seigneur. Nous avons si souvent l’impression qu’Il ne nous écoute pas. Mais nous, L’écoutons-nous suffisamment ?
Lorsque nous décidons d’écouter le Seigneur, nous faisons la même expérience que Moïse au buisson ardent. Dieu l’appelle par son nom, Moïse répond et s’approche, et le Seigneur lui dit : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. » (Ex 3,7) En écoutant la voix du Seigneur, Moïse découvre que Dieu n’est pas sourd aux cris des hommes. Lorsque nous écoutons le Seigneur, nous découvrons un Dieu bon, attentif et sans compromis avec le mal. Encore faut-il accepter d’écouter…
Il en est de même dans l’Évangile d’aujourd’hui. Tout était parti d’une injonction des auditeurs de Jésus : « Si c’est toi le Christ, dis-le nous ouvertement ! » Et Jésus de répondre : « Je vous l’ai dit, et vous ne croyez pas […] parce que vous n’êtes pas de mes brebis. » Jésus dit et montre clairement qui Il est, et pourtant ses auditeurs refusent de croire.
Que se passe-t-il lorsque nous choisissons d’écouter vraiment ce que dit Jésus ? Si nous voulons L’écouter, nous découvrons avec émerveillement que nous sommes connus, et c’est le deuxième point. Chacun ici peut recevoir pour lui les mots que le Seigneur disait au prophète Jérémie : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré. » (Jr 1,5)
Comme il est bon et précieux d’être connu, d’être reconnu, de pouvoir se tenir en toute vérité tels que nous sommes devant le Seigneur ! C’est l’expérience qu’a faite Nathanaël, à qui Jésus avait dit : « Voici vraiment un Israélite : il n’y a pas de ruse en lui » et « avant que Philippe t’appelle, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu » (Jn 1, 47-48). C’est l’expérience qu’a faite la Samaritaine : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » (Jn 4, 29). C’est l’expérience qu’a faite Pierre au bord de la mer : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » (Jn 21, 17)
Jésus connaît nos petits côtés, nos mauvais penchants, nos zones d’ombre, et cependant il nous aime ! Il connaît aussi, et il reconnaît nos richesses, nos beautés, nos mérites. Au ciel, le Seigneur aura pour chacun des élus une parole de reconnaissance : « Tu as eu telle et telle occasion de ne pas aimer, et pourtant tu as choisi d’aimer. Merci. »
Être ainsi connus par le Seigneur nous place néanmoins dans une position inconfortable. D’une part, nous avons besoin d’être sauvés. Sous le regard du Seigneur, nous reconnaissons que, par nos péchés, nous avons refusé de répondre à son amour. D’autre part, nous sommes « sauvables » : si le Seigneur ne voyait rien de bon en nous, il ne prendrait pas la peine de nous sauver. Il nous faut faire un choix.
Connus de Jésus dans nos beautés et nos fragilités, dans nos mérites et nos péchés, nous pouvons choisir d’en rester là… ou bien nous pouvons suivre Jésus, et c’est le troisième point.
Le salut dans la Bible, c’est toujours, avec Dieu, sortir de… pour entrer dans… Avec Dieu, le peuple d’Israël est sorti de l’esclavage en Égypte pour entrer dans la terre promise. Avec Jésus, l’humanité est sortie du tombeau pour entrer dans la vie divine avec lui.
Être sauvé, c’est sortir du péché qui nous accable pour entrer en Dieu qui nous console. Comme le disait la deuxième lecture : « Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera, puisque l’Agneau […] sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »
Dans l’entre-deux, nous sommes dans une position inconfortable, comme des brebis transhumantes. Nous sommes dans le monde mais nous n’appartenons pas au monde (Jn 17,16). Nous nous détachons de ce qui s’oppose à la vie de Dieu mais sans goûter encore la réalisation de la promesse.
Un verbe revient souvent dans les anciens écrits chrétiens, un verbe grec qui signifie « séjourner parmi d’autres », « habiter en marge », « être de passage » : paroikein, qui a donné le mot paroissien. Un paroissien ne saurait être quelqu’un d’installé. Un paroissien, c’est un transhumant, quelqu’un qui passe, une personne pascale.
« Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle. » En nous adressant la parole, en nous disant qui nous sommes, en nous montrant le chemin, Jésus nous arrache au néant et à l’absurde pour nous conduire au ciel. A nous de l’écouter, à nous de nous laisser connaître par lui, à nous de le suivre.
Père Alexandre-Marie Valder