« Vous êtes venus vers Dieu, le juge de tous ».
Nous sommes venus dans cette église à l’appel du Seigneur ; c’est donc à nous que l’auteur de la lettre aux Hébreux dit : « Vous êtes venus vers Dieu, le juge de tous. » Le jugement de Dieu : voilà qui met mal à l’aise… et pourtant que de gens pour s’exposer au jugement d’autrui ! Combien publient les aspects les plus enviables de leurs journées sur les réseaux sociaux et engrangent anxieusement les vues, les clics et les « j’aime » comme si leur existence en dépendait ? N’en rions pas !
C’est que nous aimons le jugement des hommes lorsque nous pouvons leur montrer le meilleur de nous. Par contre, lorsque nous craignons qu’ils voient nos travers, quel drame ! Les prêtres n’y échappent pas, évidemment. Si je dis « non » à cette demande déraisonnable, on va me prendre pour un méchant. Si je décline cette invitation, on va me prendre pour un ours mal léché. Si l’on me voit en train de prier, on va se dire que je m’ennuie. Dans le cas contraire, on va croire que je ne prie pas. Ce souci d’être vu et aimé des autres peut nous rendre fous.
Aujourd’hui, Jésus nous propose de choisir entre la tyrannie des apparences et la vérité qui libère.
Invité à un repas le jour du sabbat, il observe le comportement de l’hôte et de ses invités. Chaque semaine, le sabbat devait remettre en mémoire la libération, le salut offert et l’alliance. Le sabbat offrait une journée de célébration du don accordé par Dieu sans aucun mérite de la part de l’homme.
Au contraire, voilà que le sabbat auquel Jésus avait été invité était devenu une foire aux vanités ! Pour les invités, il s’agissait de s’arroger les places d’honneur. Quant à l’hôte, il devait sans doute se flatter d’avoir rassemblé chez lui le gratin de la ville, que des gens triés sur le volet, irréprochables, BCBG.
Le désir de paraître, d’être vu et aimé des hommes gâte les œuvres les meilleures, ici la célébration du sabbat. Dans un autre Évangile que nous entendons le mercredi des Cendres, Jésus avertit ceux qui jeûnent, qui font l’aumône et qui prient pour plaire aux hommes et non pour Dieu. Et nous, où en sommes nous ?
Les apparences tyrannisent. Au contraire, la vérité libère. Cette vérité que nous découvrons venant vers Dieu qui juge en toute vérité.
Chaque dimanche, chaque jour, la liturgie de l’Eucharistie nous replonge dans un bain de vérité. Au début de chaque Eucharistie, nous redisons devant Dieu et devant nos frères et sœurs que nous sommes des pécheurs, des hommes et des femmes qui avons commis le mal, qui avons offensé Dieu et qui, par nous-mêmes, n’avons aucun droit à nous présenter devant lui. Aucun de nous ne mérite d’être là, quel que soit son rang social ou son compte en banque, même s’il vote pour tel parti et pas pour tel autre, même s’il a posté « Je soutiens l’Ukraine » sur les réseaux, ni même parce qu’il prie ou qu’il fait l’aumône. Ce n’est pas de l’auto apitoiement : c’est la vérité nue.
Mais ce n’est que le début. On a beaucoup commenté l’une des premières déclarations publiques du pape François après son élection : « Je suis un pécheur sur lequel le Seigneur a posé son regard. » Chaque Eucharistie nous rappelle que nous sommes des pécheurs, mais des pécheurs à qui Dieu adresse la parole – ce sont les lectures –, que Dieu écoute avec bonté – ce sont les oraisons et la prière universelle –, à qui Dieu se donne sans mesure –, dans la communion –, à qui Dieu fait confiance pour la mission – c’est l’envoi.
La vérité, la voici : même si les hommes ne te voient pas ou ne t’aiment pas, Dieu, lui, te voit et t’aime. Vivre dans l’humilité, comme nous y invitait la première lecture, ce n’est rien d’autre que vivre conformément à la vérité. Vivre sans mentir, sans chercher à paraître, à sauver les apparences, et vivre sans se mentir, sans chercher à se persuader que nous sommes autre chose que des pécheurs sur lesquels le Seigneur a posé son regard.
Et comme il est libérateur de reposer sur ce fondement solide : je suis reconnu et aimé par le Seigneur, indépendamment de l’opinion que j’ai de moi-même, indépendamment de l’opinion des autres.
Les saints considèrent l’humilité comme le seul véritable révélateur de la sainteté. Pour S. Thomas d’Aquin, quelqu’un peut bien faire des miracles, s’il s’offusque lorsqu’on le méprise, il est encore bien loin d’être un saint. Et S. François de Sales écrit que celui qui ne peut pas supporter un affront n’est qu’un roseau creux et sans vertu, quand bien même il passerait pour une personne pieuse.
Vivre dans la vérité, c’est un don de Dieu, mais nous pouvons préparer nos cœurs à accueillir ce don. Chaque soir, tenons nous sous le regard du Seigneur : rendons grâce pour les belles choses de ce jour que nous avons reçues de sa main ; reconnaissons humblement nos manquements à l’amour, nos péchés et demandons pardon ; demandons la grâce pour ce qui nous attend le lendemain, afin que nous puissions mieux aimer. Et ne craignons pas, humblement et courageusement, d’aller régulièrement demander et recevoir le sacrement du Pardon. Vos prêtres sont si heureux d’être ministres de la miséricorde.
Quelques exemples encore : cette parole qui m’aurait mis en avant et que je retiens, ce silence que je garde plutôt que de répliquer à un affront, cette belle action ou cette corvée accomplie sans autre témoin que le Seigneur sont autant d’occasions de nous tenir à la dernière place du repas.
Quel est ce repas d’ailleurs ? « Jésus dit une parabole aux invités […] : « Quand quelqu’un t’invite à des noces etc. » Jésus ne nous parle pas de n’importe quel repas. Ce n’est pas une leçon de savoir-vivre, et encore moins un conseil pour se faire valoir en jouant les faux modestes.
Toute parabole de Jésus a à voir avec le Royaume, avec le Père et son amour pour nous. Ces noces, ce sont les noces de l’Agneau, les noces du Christ et de l’Église. Celui qui invite, c’est le Seigneur lui-même, celui qui seul juge en vérité, qui seul saura conduire chacun de nous à sa juste place autour à la table de son Royaume.
Père Alexandre-Marie Valder