Don et Mission
« Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ? […] De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir” »
Remarquons que ces paroles de Jésus s’adressent explicitement aux Apôtres. Tous ne sont pas Apôtres, seulement ceux que Jésus a appelés pour cela. De même, ce n’est pas à tous que Paul ordonne de prendre sa part de souffrance pour annoncer l’Évangile, mais seulement à Timothée, à qui il a imposé les mains – pour l’ordonner évêque, dirions-nous aujourd’hui. Et enfin, c’est bien au prophète Habacuc, pas à un autre, que la parole de Dieu est adressée pour qu’il la couche par écrit.
Tous ne sont pas appelés, et pourtant Dieu n’est pas injuste. Celui qui a reçu une mission particulière au service du peuple de Dieu sait bien qu’il n’a pas mérité de l’être, et il peut faire siens les mots de S. Jean-Paul II : « Ma vocation : don et mystère ». Comment parler du mystère de la vocation, sacerdotale en particulier ? Et surtout en quoi cela nous concerne-t-il tous ?
Les lectures d’aujourd’hui nous fournissent une première image : celle du serviteur qui travaille le champ et prend soin du troupeau pour le compte d’un autre. Le maître lui a donné le nécessaire et il compte sur lui, il veut passer par lui, pour travailler dans son champ, avec son troupeau et leur faire porter du fruit.
De même, le prêtre, le ministre ordonné, n’est pas un délégué nommé par les chrétiens pour gérer les affaires de l’Église, encore moins le propriétaire du peuple. C’est un homme qui a reçu du Seigneur un don immérité, un don gratuit – comme le rappelle Paul à Timothée – et une mission : œuvrer au sein du peuple qui appartient à Dieu et lui faire porter du fruit.
Une autre image permet d’approcher ce mystère : celle des parents. C’est de Dieu seul que des parents reçoivent le don et la mission – don et mission sont inséparables – de donner la vie naturelle. Donner la vie naturelle, c’est « faire des enfants », mais c’est plus encore faire de ces enfants des adultes. C’est éduquer, conduire à maturité cet enfant qui nous est confié. En ce sens, le pape François ne craint pas d’écrire que Joseph a été un authentique père pour Jésus.
De même, les ministres ordonnés reçoivent du Seigneur le don et la mission d’engendrer à la vie surnaturelle, par les sacrements, l’annonce de l’Évangile et les conseils pour vivre en enfants de Dieu. Et de même qu’il y a des couples stériles et d’autres qui refusent de donner la vie, certains souffrent de ne pas être appelés au ministère et d’autres refusent d’entendre l’appel qui leur est adressé.
Je pose une question : est-ce que le but des parents est de garder leurs enfants immatures et dépendants ? Bien sûr que non ! Nous avons tous des parents, et leur simple existence nous rappelle que nous ne nous donnons pas à nous-mêmes la vie. A l’origine de chacun de nous, il y a un don. Il en est de même dans la vie surnaturelle, la vie de Jésus se déployant dans ma vie pour que je devienne toujours plus conforme à lui, à la gloire de Dieu le Père.
Je disais au début que les lectures d’aujourd’hui s’adressaient en premier lieu aux serviteurs appelés par le Seigneur, et c’est vrai. Pourtant il y a toujours plusieurs niveaux de lecture. Lorsque Paul demande à Timothée de raviver le don de Dieu reçu à l’imposition des mains, cela nous concerne tous aussi, car tout sacrement est un don de Dieu et tout sacrement comporte une imposition des mains.
Rappelons-nous que don et mission sont indissociables. Alors, quelle est la mission que nous avons reçue à notre baptême, à notre confirmation, à notre mariage, la dernière fois que nous nous sommes confessés ou que, éventuellement, nous avons reçu l’onction des malades ?
Le pape François écrit : « Pour un chrétien, il n’est pas possible de penser à sa propre mission sur terre sans la concevoir comme un chemin de sainteté […]. Chaque saint est une mission ; il est un projet du Père pour refléter et incarner, à un moment déterminé de l’histoire, un aspect de l’Évangile. »
Tous nous avons reçu le don et la mission de devenir des saints et, d’une manière ou d’une autre, de sanctifier les autres. Comment faire de chaque heure une occasion de sanctification ? Être saint, ce n’est pas d’abord faire des choses, ce n’est pas d’abord s’engager, ce n’est pas d’abord se donner mais se recevoir soi-même de Dieu, et l’un des rôles des ministres ordonnés est de représenter Celui dont je reçois la vie.
Être saint, c’est d’abord recevoir, répondre à l’invitation de celui qui a désiré d’un grand désir nous rencontrer ce matin – et vous aurez remarqué la référence à la lettre du pape François, dont il reste encore des exemplaires. « Venez, crions de joie pour le Seigneur, disait le psaume. Allons jusqu’à lui en rendant grâce ! Adorons le Seigneur qui nous a faits. » Nul ne peut remplir à ma place ce beau devoir d’adorer le Seigneur, de me tenir devant lui, d’écouter sa parole, de le laisser me transformer en lui. Ensuite, et seulement ensuite, comme par surcroît, par débordement, je vivrai de la manière qui plaît au Seigneur.
Me sanctifier, sanctifier les autres, c’est au-delà de mes forces. Comme il est rassurant alors de m’entendre rappeler que je suis un simple serviteur, qui n’a pas à tout maîtriser, mais qui, avec un grain de foi, peut accomplir des merveilles.
Il faut conclure. Objets d’un choix immérité de la part du Seigneur, les évêques, les prêtres et les diacres reçoivent dans l’Esprit-Saint le don pour la mission : permettre à leurs frères et sœurs de devenir toujours plus conformes au Christ, à la gloire du Père. Que cela nous aide à comprendre notre propre vocation comme un don et une mission. Marié, j’ai reçu dans l’Esprit Saint le don et la mission de sanctifier mon époux, mon épouse. Parent, j’ai reçu le don et la mission de sanctifier mes enfants. Baptisé, j’ai au minimum reçu le don et la mission de me sanctifier moi-même. A moi donc de raviver le don de l’Esprit Saint pour être conformé au Christ, laisser grandir sa vie dans ma vie, à la gloire de Dieu le Père.
Père Alexandre-Marie Valder