Tout ce qui bêle n’est pas brebis
Frères et sœurs, en ce dimanche dit du Bon Pasteur, nous sommes invités à prier le Seigneur de donner à notre Église diocésaine les prêtres dont elle a besoin. Evêque, prêtres, diacres, consacrés, fidèles du Christ laïcs, tous sont indispensables à l’Église, tous sont sanctifiés par le même baptême.
Augustin s’adressait à son peuple ainsi : « Si ce que je suis pour vous m’épouvante, ce que je suis avec vous me rassure. Pour vous en effet, je suis l’évêque ; avec vous je suis chrétien. Évêque, c’est le titre d’une charge qu’on assume ; chrétien, c’est le nom de la grâce qu’on reçoit. » Autrement dit, si quelques uns ont la charge d’être pasteurs au nom de Jésus, tous sont d’abord et avant tout des brebis qui suivent le Bon Pasteur.
Or, tout ce qui bêle n’est pas brebis. Ou plutôt : il y a brebis et brebis.
Je pars d’une anecdote. Je parlais un jour des chrétiens qui, au Proche-Orient, au Nigéria, au Pakistan, en Chine ou ailleurs dans le monde, souffrent persécution, brimades et exclusion, et paient même souvent de leur vie leur fidélité au Christ. Une personne m’a demandé : « Mais, M. l’abbé, vous comprenez, vous, pourquoi ces gens-là s’obstinent dans leur idée, au lieu de faire comme tout le monde ? »
Cette question vous choque ? J’espère.
Plus proche de nous, je pense à ces phrases égrenées au fil des préparations de funérailles, de mariages et de baptêmes : « Il était très chrétien, d’ailleurs il aimait sa famille. Elle était fidèle en amitié, mais quand elle avait quelqu’un dans le nez, elle ne le lâchait pas ; elle avait du caractère, c’est bien normal. Dans notre couple, le pardon est fondamental… jusqu’à un certain point. Dans notre famille, nous sommes pour la tolérance et le partage. Je suis chrétien : je crois que quelque chose de moi restera après la mort. Mais bien sûr que je prie : parfois, dans la forêt, je m’assois et je regarde en silence. »
Entendons-nous bien : je ne dis pas que tout cela est mauvais. Aimer sa famille et les gens qui nous aiment, pardonner ce qui est sans importance, être tolérant et partager, croire en l’immortalité de l’âme, admirer la nature, c’est bien, mais ce n’est pas cela, être chrétien.
Nous connaissons bien ce passage du sermon sur la montagne : « Moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux […] En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait (Mt 5,44-48). »
« Vous étiez errants comme des brebis », nous disait saint Pierre dans la deuxième lecture. Saint Paul, lui, parle « des petits enfants [se] laissant secouer et mener à la dérive par tous les courants d’idées (Ep 4,14). »
Faire comme tout le monde, aller dans le sens du courant, c’est là le style des brebis errantes. Au contraire, nous pouvons de temps à autre faire une relecture de vie avec ces questions toutes simples : « Moi qui suis disciple du Christ, est-ce que ma vie est différente de celle des autres ? » ou encore : « Qu’est-ce qui serait différent dans ma vie si je n’étais pas disciple du Christ ? »
Voilà pour les brebis errantes. Et maintenant, plus important : qu’est-ce qui caractérise le style du disciple ?
En premier lieu, le disciple est toujours à l’écoute de la voix du Maître, c’est-à-dire le Christ. Il est « le berger des brebis. Le portier lui ouvre et les brebis écoutent sa voix. » Cela veut dire que le disciple ne peut pas faire l’économie de la prière, une prière qui consiste en un temps quotidien consacré uniquement à écouter la voix du Seigneur. Oraison silencieuse, méditation de l’Écriture, chapelet, liturgie des heures, les méthodes sont diverses, à chacun de trouver la sienne. Instruit par le Maître, le disciple devient alors capable de poser un regard ajusté sur le monde à l’aune de l’Evangile : ce qui est bon et qui fait vivre, ce qui au contraire conduit sur un chemin de mort. On est alors bien loin des brebis errantes qui, au contraire, jugent l’Évangile et l’Église à l’aune des critères du monde.
Deuxièmement, le disciple est invité à suivre le chemin tracé par le Maître. « C’est bien à cela que vous avez été appelés, nous disait saint Pierre, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. » À la suite du maître, le disciple refuse absolument de donner prise au péché, au mensonge, à l’insulte, à la violence, et il sait qu’il risque de rencontrer la contradiction et la souffrance. Le disciple n’a pas à rechercher la souffrance et la mort, mais il ne craint pas de l’affronter si c’est le seul moyen de rester fidèle à son Maître. C’est précisément ce que vivent nos frères persécutés.
Toutefois, et c’est la troisième marque du style du disciple, il vit dans une profonde confiance : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. » Le disciple sait que le Seigneur ne lui demande pas d’accomplir des prouesses, d’être irréprochable, impeccable, mais seulement de suivre humblement le chemin tracé par le berger, sûr de sa miséricorde et de sa tendresse pour chacun et chacune. S’il vient à traverser les ravins de la mort, s’il vient à trébucher, une fois, deux fois, cent fois, il sait que le berger est toujours là, tout proche, plein de tendresse et de miséricorde, pour le relever et le remettre sur le bon chemin.
Pour mieux saisir ce dernier point, je recours à nouveau à une dernière anecdote. Après que j’avais prêché sur la miséricorde, quelqu’un m’a dit, railleur : « Oh moi, je vis ma vie comme je veux ; Dieu est miséricorde, pas vrai ? »
Bien différente est la parole qui guide le disciple fidèle : « Sur les traces du Seigneur Jésus, le Bon Pasteur, je fais comme je peux – ni plus, ni moins – et, pour le reste, je sais que Dieu n’est qu’amour et miséricorde. »
Frères et sœurs, que le Bon Pasteur nous accorde les prêtres dont nous avons besoin, et qu’il fasse de nous tous de vrais disciples. Amen.
Père Alexandre-Marie Valder